Il suffit d'un Amour Tome 2
chevaucheur ducal. Cette fois, il ne lui échapperait pas !
Elle le rattrapa juste comme il allait s'engager dans le grand degré de pierre. L'escalier était vide. Elle l'appela :
— Landry... Attends-moi !
Il s'arrêta net, mais ce fut très lentement qu'il lui fit face. Aucun sourire, aucun signe de reconnaissance n'éclairait son visage fermé.
— Que désirez-vous, Madame ?
Le visage tout animé, les yeux brillants de joie, elle le rejoignit, se plaça entre l'escalier et lui afin qu'il pût la voir en pleine lumière. Elle se mit à rire.
— Madame ? Voyons, Landry, ne me dis pas que tu ne me reconnais pas
? Aurais-je donc tellement changé, en dix ans ? Ou bien as-tu perdu la mémoire ? Toi, tu es toujours le même... seulement plus grand et plus fort.
Mais tu as l'air d'avoir toujours aussi mauvais caractère.
À sa grande surprise, Landry ne sourcilla pas. Il se contenta de hocher la tête.
— Vous me faites beaucoup d'honneur, noble dame. Ma mémoire est, je crois, excellente, pourtant je ne me souviens pas vous avoir jamais rencontrée...
— Alors, c'est que j'ai vraiment beaucoup changé, fit Catherine avec bonne humeur. Très bien, dans ce cas, je vais te rafraîchir la mémoire. As-tu donc oublié le Pont-au-Change et la Cour des Miracles, et l'émeute de l'hôtel Saint-Pol ? As-tu oublié Catherine Legoix, ta petite amie de jadis ?
— J'ai, en effet, connu tout cela, Madame. J'ai connu aussi une petite fille qui portait ce nom... mais je ne vois pas le rapport.
— Quelle tête de bois ! Ah non, tu n'as pas changé... Mais, nigaud, je suis Catherine, voyons ! Secoue-toi... Regarde-moi mieux !...
Elle s'attendait à une exclamation, à des cris de joie même. L'ancien Landry eût dansé sur place, eût fait mille folies. Mais le chevaucheur ducal demeura de glace. Rien ne vint animer son regard indifférent.
— Ne vous moquez pas de moi, Madame. Je sais fort bien qui vous êtes : la dame de Brazey, la femme la plus riche de la ville... et l'amie précieuse de Monseigneur. Je vous demanderai donc en grâce de cesser ce jeu.
— Un jeu ? Oh Landry ! s'écria Catherine peinée. Pourquoi ne veux-tu pas me reconnaître ? Si tu sais qui je suis, si tu connais mon nom, tu dois bien savoir aussi que je m'appelle Catherine, qu'avant d'épouser Garin de Brazey par ordre de Monseigneur, j'étais seulement la nièce de Mathieu Gautherin, le drapier de la rue du Griffon. Une nièce qui s'appelait Catherine Legoix ?
— Non, Madame, je ne le sais pas.
— Alors, va chez mon oncle. Tu y trouveras ma mère. Je pense que tu la reconnaîtras, elle.
Le jeune homme s'écarta en descendant deux marches, juste comme Catherine, pour le mieux convaincre, s'approchait de lui. Il s'inclina brièvement :
— C'est inutile, Madame. Cette visite ne m'apprendrait rien. J'ai connu autrefois Catherine Legoix, mais vous ne pouvez être cette Catherine- là...
Maintenant, je vous prie de vouloir bien m'excuser. J'ai une mission à remplir et n'ai pas le loisir de flâner. Pardonnez-moi...
Il allait reprendre la descente de l'escalier. Elle le retint encore.
— Qui m'eût dit qu'un jour Landry ne reconnaîtrait pas Catherine ? Car vous êtes bien Landry Pigasse, n'est-ce pas ?
— Pour vous servir, Madame...
— Me servir ? fit-elle douloureusement. Autrefois nous partagions tout, les friandises comme les taloches... Nous étions amis, presque frère et sœur et, s'il me souvient bien, nous avons même risqué nos vies ensemble. Tout cela pour que vous rejetiez tout ce passé au bout de dix ans et sans que je puisse même en deviner la raison.
Mais elle avait la sensation que ses paroles venaient buter contre un mur.
Landry était entouré d'une invisible cuirasse d'indifférence, d'oubli volontaire peut-être, dont elle cherchait en vain le défaut. C'était incompréhensible. Elle tenta un ultime effort, murmura avec amertume, revenant pour un instant à l'ancien tutoiement :
— Si seulement Barnabé était là... il saurait bien, lui, t'obliger à me reconnaître ! Au besoin, il te taperait dessus.
Depuis quelques secondes il s'était détourné d'elle mais, au nom de Barnabé, il lui fit face, la regardant avec colère.
— Barnabé est mort sous la torture, pour s'être attaqué à votre mari, Madame ! C'est du moins ce que j'ai appris au retour d'une mission en Flandres. Et vous venez me dire que vous êtes Catherine Legoix ? Vous ?
Non... vous n'êtes pas Catherine et je vous défends
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