Il suffit d'un amour
miracle de courage et d'amour. Puisque ces brutes allaient tuer Michel, qu'ils la tuent elle aussi et qu'ils s'en aillent ensemble chez Madame la Vierge et Monseigneur Jésus.
Michel cependant succombait sous les coups. Il titubait, tenu encore debout par un prodigieux instinct de conservation. Sourd, aveuglé par le sang inondant son visage, il tomba sur les genoux. Son corps déjà n'était plus qu'une plaie saignante. Catherine l'entendit gémir.
— Mon Dieu !... faites-moi miséricorde !
Une insulte ignoble lui répondit. À bout de forces, il se laissa glisser à terre. Cette fois c'était fini. Catherine le sentit à la nouvelle poussée de la foule qui se jetait à la curée. Une voix cria :
— Voilà Caboche !... Place, place .
Catherine, qui avait enfoui son visage meurtri dans ses mains pour ne plus voir, releva la tête. C'était bien l'écorcheur ! Il fendait la foule de ses épaules puissantes, semblable à un navire de haut bord dans la tempête. Derrière lui venaient le cousin Legoix et la longue figure pâle de Pierre Cauchon. Pour lui livrer passage, la foule s'écarta, dégageant le corps de Michel qui apparut, pitoyable, recroquevillé sur lui- même. Avec un sanglot, Catherine courut à lui, profitant du jour ouvert, tomba à genoux et releva doucement la tête blonde poissée de sang. Le visage n'était plus qu'une abominable bouillie, méconnaissable : le nez écrasé, la bouche déchirée, tuméfiée sur les dents brisées, un œil crevé. Il gémissait doucement déjà à moitié mort.
— Vous l'avez retrouvé, fit, au-dessus d'elle, la voix de Caboche.
Où était-il ?
— Dans la cave à Gaucher Legoix. On se doutait bien qu'il était de leur bord, fit quelqu'un. On va flamber sa baraque !
— Et tout le pont avec ! trancha sèchement Caboche. C'est moi qui déciderai de ce qu'on fera.
A sa grande surprise, Catherine sentit un frisson parcourir le corps déchiré qu'elle tenait embrassé. Michel murmura péniblement :
— Je me suis caché... chez eux. Ces gens ignoraient... ma présence.
— Ce n'est pas vrai, hurla Catherine. C'est moi qui...
Une main vigoureuse s'appliqua sur sa bouche et elle se sentit enlevée de terre. Elle se retrouva contre Caboche qui, d'un seul bras, la serrait sur sa poitrine.
— Tais-toi ! souffla-t-il dans le tumulte des cris, sinon je ne pourrai sauver aucun de vous... si même j'y arrive !
À demi étouffée par les énormes muscles de l'écorcheur, l'adolescente cessa de crier mais supplia à voix basse tandis que ses larmes venaient mouiller la main velue qui la tenait.
— Sauvez-le, je vous en supplie ! Je vous aimerai bien !...
— Je ne peux pas. Et puis, il est trop tard. Seule la mort sera une miséricorde dans l'état où il est...
Avec horreur, Catherine le vit allonger un coup de pied au corps sanglant tandis qu'il criait :
On l'a retrouvé, c'est le principal ! Finissons- en un peu vite ! Viens ici Guillaume Legoix. Montre- nous que tu es toujours un bon boucher malgré ta fortune. Achève-nous cette charogne !
Le cousin Guillaume s'avança. Il était très rouge lui aussi et il y avait du sang sur sa belle robe de velours brun. Malgré ses vêtements coûteux, il était redevenu un écorcheur comme les autres. Cela se lisait à la joie cruelle de son regard devant le sang répandu, dans le sourire de ses grosses lèvres humides. Il brandissait un tranchoir de boucher qui avait déjà servi.
Caboche sentit se raidir le corps de Catherine dans son bras. Il sentit qu'elle allait crier, la bâillonna de sa main libre tandis qu'il se penchait vers Guillaume et chuchotait vivement :
— Fais vite. Achève-le proprement... à cause de la gamine.
Guillaume hocha la tête, se baissa vers Michel. La main de Caboche remonta miséricordieusement de la bouche de Catherine à ses yeux qu'elle masqua. L'enfant ne vit plus rien mais elle entendit un râle sourd, suivi d'un affreux gargouillis. La foule hurla de joie. En se tordant comme une anguille, elle parvint à se glisser des bras de Caboche, tomba sur les genoux. Ses yeux s'agrandirent d'horreur et elle porta ses deux mains à sa bouche.
Devant elle, dans une mare de sang où trempaient ses genoux, le corps décapité de Michel gisait, achevant de se vider du flux vital qui jaillissait à gros bouillons du cou tranché. Un peu plus loin, un homme portant le hoqueton vert des archers de Bourgogne plantait tranquillement la tête sur un fer de lance.
La vie se retira peu à peu
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