Imperium
tournent autour,
commenta un matin Cicéron, confortablement installé dans son fauteuil après m’avoir
dicté son dernier message à Pompée. Aucun d’eux ne peut gagner directement,
mais chacun peut tuer l’autre.
— Comment la victoire finira-t-elle par s’imposer,
alors ?
Il me regarda, puis se redressa brusquement pour frapper son
bureau de la paume de la main avec une soudaineté qui me fit sursauter.
— Elle ira à celui qui frappera l’autre par surprise.
À l’époque où il fit cette remarque, il ne restait plus que
quatre jours avant que la lex Gabinia ne fût votée par le peuple.
Cicéron n’avait toujours pas trouvé le moyen de circonvenir le veto de Crassus.
Il était las et découragé, et se remit à évoquer une éventuelle installation à
Athènes pour étudier la philosophie. Ce jour passa, puis le suivant, et encore
le suivant sans qu’aucune solution ne se présentât. Le dernier jour avant le
vote, je me levai comme d’habitude à l’aube et ouvris la porte à la clientèle
de Cicéron. Maintenant qu’on le savait si proche de Pompée, ces réceptions
matinales avaient doublé de volume, et la maison regorgeait de demandeurs et
sympathisants divers, pour le plus grand déplaisir de Terentia. Certains
portaient des noms célèbres. Ainsi, ce matin-là, il y avait Antonius Hybrida,
deuxième fils du grand orateur et consul Marcus Antonius, qui venait de servir
un temps comme tribun ; c’était un imbécile et un ivrogne, mais il devait
être reçu en premier. Il faisait gris et il pleuvait dehors, aussi les
visiteurs apportaient-ils avec eux une odeur de chien mouillé qui émanait de
leurs vêtements sales et humides et de leurs cheveux trempés. Comme le
carrelage noir et blanc était maculé de traces de boue, je m’apprêtais à
appeler un esclave de maison pour qu’il lave par terre quand la porte se
rouvrit sur Marcus Licinius Crassus en personne. Je fus tellement surpris que j’en
oubliai d’être inquiet et l’accueillis d’un salut aussi naturel que s’il avait
été n’importe qui venu requérir une lettre d’introduction.
— Et très bonne journée à toi, Tiron, rétorqua-t-il.
Il ne m’avait rencontré qu’une fois et se souvenait encore
de mon nom, ce qui m’alarma.
— Serait-il possible de s’entretenir un instant avec
ton maître ? Crassus n’était pas seul, mais flanqué de Quintus Arrius, un sénateur
qui le suivait comme une ombre et dont le discours ridiculement affecté – il
ajoutait systématiquement un h aspiré aux voyelles et prononçait ainsi son
nom « Harrius » – devait être si mémorablement parodié par
Catullus, le plus cruel des poètes. Je courus au bureau de Cicéron et le
trouvai, comme de coutume, occupé à dicter une lettre à Sositheus tout en
signant des documents aussi vite que Laurea pouvait les lui présenter.
— Tu ne devineras jamais qui est ici ! m’écriai-je.
— Crassus, répondit-il sans même lever la tête.
— Cela ne te surprend pas ? m’étonnai-je,
complètement déconcerté.
— Non, dit Cicéron en signant une autre lettre. Il est
venu me faire une offre magnanime qui ne sera en vérité pas magnanime du tout
mais le présentera sous une meilleure lumière lorsque notre refus sera devenu
public. Il a toutes les raisons de trouver un compromis alors que nous n’en
avons aucune. Mais tu ferais mieux de le faire entrer avant qu’il ne soudoie
tous mes clients pour qu’ils me laissent tomber. Et puis reste là pour prendre
des notes, au cas où il essaierait de me prêter des propos que je n’ai pas
tenus.
J’allai donc chercher Crassus – qui faisait
effectivement le tour du tablinum de Cicéron en serrant des mains avec
effusion, à la stupéfaction craintive de toutes les personnes concernées – et
le conduisis dans le bureau. Les secrétaires sortirent et nous restâmes tous
les quatre – Crassus, Arrius et Cicéron assis, moi debout dans un
coin, à prendre des notes.
— Tu as une très jolie maison, commenta Crassus,
toujours très amical. Petite, mais charmante. Il faudra que tu me préviennes si
tu penses à la vendre.
— Si jamais elle prend feu, répliqua Cicéron, tu seras
le premier à le savoir.
— Très amusant, fit Crassus, qui frappa dans ses mains
et rit avec bonne humeur. Mais je suis tout à fait sérieux. Un homme aussi
important que toi devrait avoir une plus grande propriété, dans un meilleur
voisinage. Le Palatin, bien
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