Imperium
rendait chez Catilina. Évidemment, au lieu
de la calmer, cette nouvelle la mit encore plus en rage. Elle lui demanda
comment il pouvait supporter l’idée de passer un moment en compagnie d’un tel
monstre qui avait débauché sa propre sœur, une vierge vestale, sur quoi Cicéron
rétorqua en plaisantant que Fabia avait toujours été « plus vestale que
vierge ». Terentia s’efforça de se lever, mais n’y parvint pas, et ses
invectives furieuses nous poursuivirent jusqu’à ce que nous fussions sortis de
la maison, au grand amusement de Cicéron.
Cette nuit évoquait beaucoup celle qui avait précédé l’élection
à l’édilité, lorsqu’il était allé voir Pompée. Il y avait cette même chaleur
oppressante, cette même lune fiévreuse ; une même brise charriait les
odeurs de putréfaction en provenance des charniers qui s’étendaient derrière la
porte Esquiline et les répandait sur la cité comme une poussière moite et
invisible. Nous descendîmes au forum, où des esclaves allumaient les réverbères,
dépassâmes les temples sombres et silencieux et remontâmes le Palatin, où
habitait Catilina. Je portais comme d’habitude une cassette à documents, et
Cicéron se tenait les mains derrière le dos pour marcher tête baissée, plongé
dans ses pensées. En ce temps-là, le Palatin était beaucoup moins construit qu’aujourd’hui,
et les maisons beaucoup plus espacées. J’entendais le son d’un cours d’eau tout
proche et respirais un parfum de chèvrefeuille et d’églantine.
— C’est ici qu’il faut vivre, Tiron, me dit Cicéron en
s’arrêtant sur les marches. C’est ici que nous viendrons habiter quand il n’y
aura plus d’élections à disputer et que je n’aurai plus à me soucier autant de
l’opinion des gens. Un endroit avec un jardin où lire – tu imagines – et
où les enfants pourraient jouer, ajouta-t-il avec un regard en direction du
mont Esquilin. Ce sera un soulagement pour tous quand ce bébé sera là. C’est
comme attendre qu’un orage éclate enfin.
La maison de Catilina était facile à trouver car elle se
dressait près du temple de Luna, toujours illuminé la nuit par des torches en l’honneur
de la déesse Lune. Un esclave nous attendait dans la rue pour nous guider, et
il nous conduisit directement dans le vestibule de la demeure des Sergii, où
une femme superbe accueillit Cicéron. Il s’agissait d’Aurelia Orestilla, l’épouse
de Catilina, dont il était censé avoir séduit la fille avant de passer à la
mère et pour qui, disait-on, il avait assassiné son propre fils de son premier
mariage (le garçon ayant menacé de tuer Aurélia plutôt que d’avoir une telle
courtisane pour mère). Cicéron savait à quoi s’en tenir avec elle, et coupa
court à son accueil chaleureux d’un petit salut bref.
— Madame, dit-il, c’est votre mari et non vous que je
suis venu voir.
Elle se mordit la lèvre et se tut. Nous nous trouvions dans
l’une des demeures les plus anciennes de Rome, et l’on entendait le bois
craquer tandis que nous suivions l’esclave à l’intérieur, où régnait une odeur
de vieilles draperies poussiéreuses et d’encens. Un détail curieux dont je me
souviens encore était qu’elle avait été en grande partie vidée, et de toute
évidence récemment, car on pouvait voir les contours rectangulaires brouillés
des endroits où il y avait eu des tableaux, et des cercles de poussière sur le
sol indiquant la place de statues absentes. Il ne restait plus dans l’atrium
que les effigies de cire miteuses des ancêtres de Catilina, jaunies par des
générations de fumées. C’est là que Catilina lui-même se tenait. La première
surprise fut de le découvrir si grand lorsqu’on s’en approchait – au
moins une tête de plus que Cicéron – et la seconde de constater la
présence derrière lui de Clodius. Ce dut être un choc terrible pour Cicéron,
mais il était bien trop maître de lui pour le laisser paraître. Il serra
brièvement la main de Catilina, puis celle de Clodius, refusa poliment un verre
de vin, et enfin les trois hommes passèrent aussitôt au sujet qui nous amenait.
En y repensant, je fus frappé par la ressemblance entre
Catilina et Clodius. C’est la seule fois que je les vis ensemble dans une même
pièce, et ils auraient pu être père et fils, dotés d’une même voix traînante,
et d’une même langueur dans l’attitude, comme si le monde n’attendait que de
leur
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