Imperium
Crassus et César de l’autre,
ensemble, et je me suis dit : Cicéron, cet homme, c’est toi.
Ses relations personnelles avec César étaient toujours
cordiales, notamment parce que César appréciait ses plaisanteries, mais Cicéron
ne lui avait jamais fait confiance et, maintenant qu’il soupçonnait une alliance
avec Crassus, il commençait à prendre ses distances. Il y a une autre anecdote
que je voudrais citer à propos de César. Vers la même époque, Palicanus vint
voir Cicéron afin de lui demander son soutien pour sa propre candidature au
consulat. Bigre, pauvre Palicanus ! Son exemple constituait à lui seul une
mise en garde pour ceux qui, en politique, deviennent trop dépendants de la
faveur d’un grand homme. Il avait été le loyal tribun de Pompée, puis son
fidèle préteur, mais n’avait jamais touché sa part du butin après que le grand
homme eut obtenu les pleins pouvoirs, pour la simple raison qu’il n’avait plus
rien à offrir en retour ; il avait été saigné à blanc. Je me le
représente, prostré chez lui, jour après jour, devant le buste géant de Pompée,
ou dînant seul sous la fresque représentant Pompée en Jupiter – en
vérité, il avait à peu près autant de chances que moi de devenir consul. Mais
Cicéron s’efforça de repousser son offre avec ménagement et lui assura que, s’il
ne pouvait pas former d’alliance électorale avec lui, il essaierait néanmoins
de faire quelque chose pour lui à l’avenir (bien sûr, il n’en fit rien). À la
fin de l’entretien, au moment où Palicanus se levait, Cicéron, pour terminer
sur une note amicale, lui demanda de le rappeler au bon souvenir de sa fille,
Pollia, la jeune débraillée, qui était mariée à Gabinius.
— Oh, ne me parle pas de cette putain ! répliqua
Palicanus. Tu ne le sais pas ? Toute la ville en fait des gorges chaudes !
Elle se fait sauter tous les jours par César !
Cicéron lui assura qu’il n’avait rien entendu de tel.
— César, reprit amèrement Palicanus, en voilà un
hypocrite ! Je te le demande : est-ce bien le moment de coucher avec
la femme d’un ami, quand celui-ci est à mille milles, en train de se battre
pour son pays ?
— C’est honteux, convint Cicéron. Remarque, me dit-il
une fois Palicanus parti, quand on est prêt à faire ce genre de chose, c’est le
moment idéal. Non que je sois réellement un expert en la matière, ajouta-t-il
en secouant la tête, mais vraiment, on peut se poser des questions à propos de
César. À partir du moment où un homme est prêt à te voler ta femme, que ne
pourrait-il pas te voler d’autre ?
Cette fois encore, je fus à deux doigts de lui révéler la
scène dont j’avais été témoin chez Pompée, mais, à nouveau, je me ravisai.
Ce fut par un beau matin clair d’automne que Cicéron fit ses
adieux éplorés à Terentia, Tullia, et au petit Marcus, et que nous quittâmes la
ville pour entamer sa grande tournée de campagne dans le Nord. Quintus, comme d’habitude,
resta sur place pour s’occuper des intérêts politiques de son frère pendant que
Frugi se chargeait des affaires juridiques. Quant au jeune Caelius, ce fut pour
lui l’occasion de quitter Cicéron pour aller finir son internat dans la maison
de Crassus.
Nous voyagions en convoi de trois chariots à quatre roues
tirés par des attelages de mules – une voiture dans laquelle Cicéron
pouvait dormir, une autre spécialement aménagée en bureau et une troisième
pleine de bagages et de documents ; d’autres véhicules plus petits nous
escortaient avec la suite du sénateur : secrétaires, valets, muletiers,
cuisiniers et le ciel sait qui encore, dont plusieurs gros bras qui servaient
de gardes du corps. Nous sortîmes de la ville par la porte Fontinale, sans
personne pour nous dire au revoir. À cette époque, les collines au nord de Rome
étaient encore couvertes de pins, à l’exception de celle sur laquelle Lucullus
finissait de se faire construire son célèbre palais. Le général patricien était
rentré d’Orient, mais ne pouvait pénétrer dans la ville proprement dite sans
perdre son imperium militaire, et avec lui son droit au triomphe. Il
patientait donc au milieu de ses prises de guerre, attendant que ses acolytes
de l’aristocratie rassemblent une majorité au Sénat pour voter son triomphe,
mais les partisans de Pompée, dont Cicéron, ne cessaient de faire obstacle.
Cependant, même lui leva les yeux de ses lettres pour
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