Imperium
s’assit sous les applaudissements des
aristocrates. Cicéron se leva, le visage impassible.
— Le sénateur ne doit pas avoir lu la motion, fit-il
avec un étonnement feint. Où est-il fait mention de Gaius Verres ?
Messieurs, je ne demande pas à cette assemblée de se prononcer sur le cas de
Gaius Verres. Il ne serait pas équitable de juger Gaius Verres en son absence.
Gaius Verres n’est pas ici pour se défendre. Et maintenant que nous avons
établi ce principe, Hortensius voudra-t-il l’étendre à mon client et convenir
que celui-ci ne devrait pas être jugé en son absence non plus ? Ou
devrait-il y avoir une loi pour les aristocrates et une autre pour le reste d’entre
nous ?
Cela fit aussitôt monter la température et mit les pedarii du côté de Cicéron tandis que la foule massée à la porte hurlait de joie.
Je sentis quelqu’un me pousser rudement par-derrière, et Marcus Metellus se
força un passage dans la curie pour remonter vivement l’allée en direction d’Hortensius.
Cicéron le regarda avancer, d’abord en affichant une expression de surprise,
puis de compréhension. Il leva aussitôt la main pour réclamer le silence.
— Très bien. Puisque Hortensius juge la motion
originale trop vague, reformulons-la afin qu’il ne subsiste aucun doute. Je
propose un amendement : Attendu que Sthenius a été poursuivi en son
absence, il est convenu qu’aucun jugement par contumace ne peut avoir lieu, et
que, si un tel jugement a déjà été rendu, il soit annulé. Et j’ajoute :
votons-le sur-le-champ, et, dans la plus grande tradition du Sénat romain,
épargnons à un innocent l’épouvantable châtiment de la crucifixion !
Sous les acclamations et les sifflets mêlés, Cicéron s’assit
et Gellius se leva.
— La motion est énoncée, déclara le consul. Quelqu’un
veut-il prendre la parole ?
Hortensius, les frères Metellus et quelques autres membres
de leur parti tels Scribonius Curion, Sergius Catilina et Aemilius Alba s’étaient
rassemblés autour du premier banc, et la curie sembla brièvement s’orienter
vers une fracture, ce qui aurait parfaitement convenu à Cicéron. Mais lorsque
les aristocrates finirent par regagner leur place, la silhouette osseuse de
Catulus apparut encore debout.
— Je crois que je vais prendre la parole, annonça-t-il.
Oui, je crois que j’ai quelque chose à dire.
Catulus avait un cœur de pierre – c’était l’arrière
arrière arrière arrière arrière petit-fils (je ne crois pas me tromper sur le nombre
d’« arrière ») du Catulus qui avait triomphé d’Hamilcar durant la
première guerre punique – et pas moins de deux siècles d’histoire se
trouvaient distillés dans sa vieille voix aigre.
— Je vais prendre la parole, répéta-t-il, et ce que je
veux dire en premier, c’est que ce jeune homme (il désigna Cicéron) ne sait
rigoureusement rien « des plus grandes traditions du Sénat romain »
car, si tel était le cas, il aurait conscience qu’aucun sénateur n’en attaque
jamais un autre, sinon en face. Cela témoigne d’un manque certain d’éducation.
Je le regarde assis là, malin et impatient, et savez-vous ce que je pense,
messieurs ? Je pense à la sagesse du vieux dicton : « Une once d’hérédité
vaut une livre de mérite ! »
C’était maintenant au tour des aristocrates de se tordre de
rire. Catilina, dont j’aurai beaucoup à dire par la suite, désigna Cicéron,
puis passa son index sous sa gorge. Cicéron rougit mais parvint à garder son
sang-froid. Il réussit même à afficher un maigre sourire. Catulus se retourna
avec délice vers les bancs derrière lui, et j’entrevis son profil ricanant,
acéré, au nez crochu, évoquant une effigie sur une pièce de monnaie. Puis il se
replaça face à l’assemblée.
— La première fois que je pénétrai dans cette curie,
sous le consulat de Claudius Pulcher et Marcus Perpernat…
Sa voix prit un ton assuré et monotone.
Cicéron chercha mon regard. Il articula quelque chose, leva
les yeux vers les fenêtres, puis me désigna la porte d’un signe de tête. Je
compris tout de suite ce qu’il voulait et, alors que je me frayais un chemin
vers le forum parmi le public, je songeai soudain que Marcus Metellus avait dû
être chargé d’accomplir exactement la même mission un moment plus tôt. Il était
à cette époque plus difficile de mesurer le temps avec exactitude, et l’on
estimait que la dernière heure ouvrable de
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