Imperium
en
tant qu’avocat dans sa jeunesse, lorsque la santé lui faisait encore défaut, à
son retour de Sicile ou maintenant, face au traitement désinvolte de Pompée –,
le feu qui brûlait en lui était momentanément contenu, mais seulement pour
repartir avec plus de vigueur encore. « C’est la persévérance, se
plaisait-il à répéter, et non le génie, qui mène un homme au sommet. Rome est
plein de génies méconnus. Seule la persévérance permet d’avancer dans le monde. »
Je l’entendis donc se préparer pour un nouveau jour de combat dans le forum
romain et sentis le rythme familier de la maison s’imposer à nouveau.
Je m’habillai, allumai les lampes et commandai au portier d’ouvrir
la porte d’entrée. Je vérifiai qui était là. Puis je me rendis dans le bureau
de Cicéron et lui donnai la liste des clients. Aucune allusion ne fut jamais
faite, ni sur le moment ni par la suite, à ce qui s’était produit la nuit
précédente, et je soupçonne que cela contribua aussi à nous rapprocher. Certes,
il était un peu verdâtre, et il devait plisser les yeux pour arriver à lire les
noms, sinon il était parfaitement normal.
— Sthenius ! grogna-t-il quand il découvrit que le
Sicilien attendait, comme d’habitude, dans le tablinum. Puissent les dieux
avoir pitié de nous !
— Il n’est pas seul, l’avertis-je. Il a amené deux
autres Siciliens avec lui.
— Tu veux dire qu’il se multiplie ? dit-il avant
de tousser pour s’éclaircir la gorge. C’est bon, recevons-le en premier et
débarrassons-nous de lui une fois pour toutes.
Comme plongé dans un de ces rêves récurrents dont on ne peut
s’éveiller, je menai à nouveau Sthenius de Therme en présence de Cicéron. Il
présenta ses compagnons comme étant Heraclius de Syracuse et Épicrate de Bidis.
Tous deux étaient visiblement âgés, vêtus comme lui de la robe sombre du deuil,
et ils portaient la barbe et les cheveux longs.
— Écoute maintenant, Sthenius, commença sévèrement
Cicéron après avoir serré la main du sinistre trio. Il faut que cela cesse.
Mais Sthenius paraissait enfermé dans un royaume personnel,
étrange et lointain, quasi imperméable aux bruits extérieurs : le pays des
plaideurs obsessionnels.
— Je te suis très reconnaissant, sénateur. Tout d’abord,
maintenant que j’ai obtenu des comptes rendus du tribunal de Syracuse, dit-il
en tirant une feuille de son sac de cuir et en la fourrant dans la main de
Cicéron, tu vas voir ce que ce monstre a fait. Voici ce qui a été écrit avant
le verdict des tribuns. Et là, ajouta-t-il en lui donnant une autre feuille, c’est
ce qui a été écrit après.
Avec un soupir, Cicéron porta les deux documents côte à côte
et les examina en plissant les yeux.
— Voyons, qu’est-ce que c’est ? Il s’agit du
compte rendu officiel de ton procès pour trahison, sur lequel je vois qu’il est
écrit que tu étais présent pendant les audiences. Bien, nous savons que c’est
faux. Et là… (son débit ralentit à mesure qu’il voyait se dessiner les
implications) il est dit que tu n’étais pas présent.
Il leva la tête, ses yeux embués prenant un aspect plus vif.
— Verres falsifie donc les minutes des jugements de son
propre tribunal, puis il falsifie ses propres falsifications ?
— Exactement ! s’exclama Sthenius. Quand il s’est
aperçu que tu m’avais présenté devant les tribuns et que tout Rome savait donc
que je ne pouvais guère me trouver à Syracuse le 1 er décembre, il a
dû effacer la trace de son mensonge. Mais le premier document m’avait déjà été
envoyé.
— Bien, bien, dit Cicéron. Il est peut-être plus
inquiet que nous le pensions. Je vois aussi que tu avais un avocat de la
défense pour te représenter ce jour-là : « Gaius Claudius, fils de
Gaius Claudius, de la tribu Palatine. » Tu es bien heureux, d’avoir ton
propre avocat romain. Qui est-ce ?
— C’est l’administrateur des affaires de Verres.
Cicéron étudia Sthenius un moment.
— Qu’est-ce que tu as d’autre, dans ce sac ?
demanda-t-il. Par cette chaude matinée d’été, s’entassèrent alors sur le sol du
bureau lettres, noms, extraits de rapports officiels, notes griffonnées
rapportant bruits divers et rumeurs – sept mois d’un travail acharné
mené par trois désespérés, car il s’avéra qu’Heraclius et Épicrate avaient tous
les deux été dépouillés de leurs biens par Verres, l’un pour une
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