Imperium
pays,
déclara-t-il avant de traverser posément le tribunal jusqu’à l’endroit où se
trouvait Verres, puis de lever lentement le bras pour le pointer sur lui. Voici
un monstre humain d’une méchanceté, d’une impudence et d’une cupidité
inégalées. Si je fais passer cet homme devant la justice, qui pourra me
reprocher de l’avoir fait ? Dites-moi, au nom de tout ce qui est juste et
sacré, quel meilleur service je puis rendre à ma patrie en ce moment !
Verres ne semblait pas le moins du monde désarçonné. Il
sourit d’un air de défi en regardant Cicéron et secoua la tête. Cicéron le
dévisagea avec mépris un long moment, puis se retourna pour faire face au jury.
— Gaius Verres est accusé d’avoir, pendant une période
de trois ans, saccagé la province de Sicile. D’avoir pillé les communautés
siciliennes, dépouillé les foyers siciliens, mis à sac les temples siciliens.
Si la Sicile tout entière pouvait s’exprimer d’une seule voix, voici ce qu’elle
dirait : « Tout l’or, tout l’argent, toutes les belles choses qui se
trouvaient autrefois dans mes villes, mes maisons et mes temples, toutes ces
choses, Verres, tu les as pillées et me les as volées ; et c’est pour
cette raison que je t’intente un procès et te réclame, conformément à la loi,
une indemnité de un million de sesterces ! » Voilà les paroles que
prononcerait la Sicile si elle pouvait s’exprimer d’une seule voix, mais comme
elle ne le peut pas, elle m’a choisi pour la défendre. Aussi, quelle incroyable
impudence est la tienne (là, il se tourna enfin vers Caecilius) d’oser essayer
de t’octroyer leur défense quand les Siciliens ont déjà dit qu’ils ne voulaient
pas de toi !
Il marcha jusqu’à Caecilius et se planta juste derrière lui.
Puis il prit une expression de tristesse appuyée.
— Je vais tenter de te parler comme à un ami, dit-il en
tapotant l’épaule de Caecilius de sorte que son rival n’eut d’autre choix que
de se retourner sur son siège pour le regarder – en un mouvement
désordonné qui suscita bien des rires. Je te conseille sincèrement de bien
interroger ta conscience. Reprends-toi. Réfléchis à ce que tu es et à ce qui te
convient. Ce procès est une entreprise redoutable et très douloureuse. Auras-tu
la voix et la mémoire nécessaires ? Auras-tu l’intelligence et la capacité
de soutenir un tel fardeau ? Même si tu avais l’avantage de grands dons
naturels, même si tu avais reçu une parfaite éducation, pourrais-tu espérer
soutenir l’effort ? Nous allons le découvrir ce matin. Si tu peux répondre
à ce que je dis maintenant, si tu peux utiliser une seule expression que tu n’auras
pas trouvée dans une compilation d’extraits de discours conseillée par tes
maîtres, alors peut-être ne seras-tu pas trop lamentable au procès proprement
dit.
Il revint vers le centre du tribunal et s’adressa à présent
tout autant à l’assistance qu’au jury.
— Eh bien, pensez-vous, et alors ? Toi-même, possèdes-tu
toutes ces qualités ? Si seulement c’était le cas ! Mais j’ai fait de
mon mieux, et je travaille dur depuis mon plus jeune âge pour tenter dans la
mesure du possible de les acquérir. Chacun sait que ma vie est centrée sur le
forum et les tribunaux ; que rares sont ceux, s’ils existent, qui ont à
mon âge défendu plus de causes ; que tout le temps que je ne consacre pas
aux affaires de mes amis, je le passe à étudier et à travailler comme l’exige
cette profession afin de me rendre plus apte et de mieux convenir à l’exercice
du barreau. Et cependant, même moi, quand je pense au grand jour où l’accusé
est convoqué devant le tribunal et que je dois délivrer mon discours, je ne
suis pas seulement inquiet mais je tremble physiquement des pieds à la tête. Toi, Caecilius, tu ne connais pas ces craintes, ces doutes, ces inquiétudes. Tu
t’imagines qu’en apprenant par cœur une phrase ou deux d’un vieux discours
telles que « J’implore le dieu tout-puissant et miséricordieux » ou « Je
pourrais faire un vœu, messieurs, si seulement cela était possible », tu
seras parfaitement préparé à entrer devant le tribunal.
« Caecilius, tu n’es rien et tu ne comptes pas.
Hortensius te détruira ! Alors qu’il ne parviendra jamais à m’écraser
avec son intelligence. Il ne m’égarera jamais avec ses traits d’ingéniosité. Il
n’emploiera jamais ses grands pouvoirs pour
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