Imperium
plateau. Une fois sur place, refusant de prêter attention aux
avertissements comme quoi ce serait trop dangereux, Cicéron insista pour
inspecter lui-même les Carrières.
Cette vaste prison, œuvre de Denys le Tyran, avait déjà plus
de trois cents ans. Une très vieille porte métallique fut ouverte, et nous nous
engageâmes dans la bouche d’un tunnel, guidés par des gardes munis de torches.
Les murs luisants – rongés par la crasse et les champignons –,
la cavalcade des rats dans la pénombre, l’odeur de mort et de déchets, les cris
et les gémissements des âmes abandonnées… C’était véritablement une descente
aux enfers. Nous finîmes par atteindre une nouvelle porte métallique et,
lorsque serrures et verrous furent ouverts, nous entrâmes dans la prison
proprement dite. Quel spectacle nous attendait ! On aurait dit qu’un géant
avait rempli un sac de centaines d’hommes entravés par des fers, puis l’avait
vidé dans un trou. La lumière était ténue, presque sous-marine, et il y avait
des prisonniers aussi loin que le regard portait. Certains marchaient
péniblement, quelques-uns s’étaient regroupés, mais la plupart gisaient séparés
les uns des autres, simples sacs d’os jaunissants. Les morts du jour n’avaient
pas encore été dégagés, et il était difficile de distinguer les squelettes
vivants des cadavres.
Nous nous sommes frayé un chemin parmi les corps – ceux
qui avaient déjà succombé et les moribonds : il n’y avait pas de
différence évidente – et, à certains moments, Cicéron s’arrêtait pour
demander à un homme son nom, se baissait pour entendre la réponse murmurée.
Nous ne trouvâmes pas de Romains, seulement des Siciliens.
— Y a-t-il des citoyens romains parmi vous ? lança-t-il
à la cantonade. Y en a-t-il parmi vous qui ont été arrêtés sur des bateaux ?
Seul le silence lui répondit. Il se retourna et appela le
capitaine de la garde pour lui demander à voir les registres de la prison.
Comme Vibius, le misérable se débattit entre sa peur de Verres et sa peur de l’accusateur
spécial, mais il finit par succomber à la pression de Cicéron.
Creusés dans les parois rocheuses de la carrière, il y avait
des cellules séparées et des galeries, où l’on procédait à la torture et aux exécutions
et où mangeaient et dormaient les gardes. (Nous découvrîmes par la suite que la
méthode d’exécution la plus pratiquée était le garrot.) C’est là aussi que se
trouvait l’administration de la prison, si l’on pouvait appeler ça ainsi. On
alla nous chercher des caisses de rouleaux humides et moisis sur lesquels
figuraient de longues listes de noms de prisonniers, avec la date de leur
arrivée et de leur départ. Il était indiqué que certains avaient été libérés,
mais, accolée à la plupart des noms, on avait griffonné la mention edikaiothesan – terme
sicilien signifiant qu’on leur avait infligé la peine de mort.
— Je veux une copie de chaque entrée sur les trois
années où Verres a été gouverneur ici, me dit Cicéron, et toi, ajouta-t-il en s’adressant
au capitaine de la prison, quand ce sera fait, tu signeras une déclaration
stipulant que nous avons établi des copies conformes.
Pendant que deux autres secrétaires et moi-même nous
mettions à l’ouvrage, Cicéron et Lucius fouillaient les registres en quête de noms
romains. Quoique la majorité des prisonniers détenus dans les Carrières pendant
le mandat de Verres fussent de toute évidence siciliens, il y avait également
un nombre considérable de personnes issues de tous les peuples de la
Méditerranée – Espagnols, Égyptiens, Syriens, Ciliciens, Cretois,
Dalmates. Quand Cicéron demanda les raisons de leur emprisonnement, on lui
répondit que c’étaient des pirates – des pirates et des espions. Tous
étaient enregistrés comme ayant été exécutés, dont, parmi eux, l’infâme pirate
Heracleo. Les Romains, en revanche, avaient été prétendument « libérés » – y
compris les deux hommes qui venaient d’Espagne, Publius Gavius et Lucius
Herennius, dont on nous avait décrit les exécutions.
— Ces registres sont un ramassis de mensonges, glissa à
voix basse Cicéron à Lucius. Le contraire même de la réalité. Personne n’a vu
mourir Heracleo, alors que le spectacle d’un pirate crucifié ne manque jamais d’attirer
une foule enthousiaste. Mais des tas de gens ont vu exécuter les Romains. Il
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