Imperium
me
semble que Verres s’est contenté d’inverser la situation – il a tué
les membres d’équipage innocents et libéré les pirates, sans doute contre
paiement d’une forte rançon. Si Gavius et Herennius avaient découvert sa
traîtrise, cela expliquerait pourquoi Verres était si pressé de les faire
disparaître.
Je crus que le pauvre Lucius allait être malade. Il y avait
certes un long chemin entre ses livres de philosophie dans Rome ensoleillée et
l’examen de listes mortuaires à la lueur vacillante de bougies, quatre-vingts
pieds sous une terre imbibée d’eau. Nous finîmes le plus vite possible, et je n’ai
jamais été aussi heureux de fuir un endroit que je le fus en remontant le
tunnel qui menait hors des Carrières pour rejoindre l’humanité à la surface.
Une brise légère s’était levée, qui soufflait par la mer, et je me souviens
comme si c’était cet après-midi même et non il y a plus d’un demi-siècle que
nous avons tous tourné instinctivement le visage vers le large et bu avec
reconnaissance l’air froid et pur.
— Promets-moi, dit Lucius après un moment, que si
jamais tu arrives à obtenir cet imperium que tu désires tant, tu ne
présideras jamais à une telle cruauté ni à une telle injustice.
— Je le jure, répondit Cicéron. Et si jamais, mon cher
Lucius, tu dois te demander pourquoi, dans la vie réelle, des hommes bons
renoncent à la philosophie pour rechercher le pouvoir, promets-moi en retour de
toujours te souvenir de ce que tu as vu dans les Carrières de Syracuse.
Nous étions alors à la fin de l’après-midi et, grâce aux
activités de Cicéron, Syracuse était en émoi. La foule qui nous avait suivis en
haut de la pente raide, jusqu’à la prison, nous attendait encore devant les
murs des Épipoles. En fait, elle avait même grossi et avait été rejointe par
quelques-uns des citoyens les plus distingués de la ville, dont le grand prêtre
de Jupiter, vêtu de ses robes sacrées. Ce pontificat, traditionnellement
réservé aux Syracusains de plus haut rang, était à l’époque détenu par nul
autre que le client de Cicéron, Heraclius, qui était rentré de Rome de son côté
pour nous aider – courant ainsi de terribles risques personnels. Il
arrivait avec la requête que Cicéron l’accompagne aussitôt au sénat de la
ville, où les doyens attendaient de lui accorder un accueil officiel en bonne
et due forme. Cicéron était partagé. Il lui restait beaucoup de travail et peu
de temps pour l’accomplir. De plus, le fait qu’un sénateur romain s’adresse à
une assemblée locale sans l’autorisation du gouverneur constituait certainement
une infraction au protocole. Mais cela promettait également d’être une
formidable occasion d’approfondir son enquête. Après une courte hésitation, il
accepta de s’y rendre, et nous descendîmes la colline accompagnés d’une
gigantesque escorte de Siciliens respectueux.
Le sénat était bondé. Sous une statue dorée de Verres en
personne, le doyen des sénateurs, le vénérable Diodorus, accueillit Cicéron en
grec, et s’excusa de ne lui avoir apporté jusqu’ici aucune assistance :
jusqu’aux événements d’aujourd’hui, ils n’avaient pas cru à sa sincérité.
Révolté par les scènes dont il venait d’être témoin, Cicéron, s’exprimant lui
aussi en grec, se lança à l’improviste dans un discours des plus brillants,
promettant de vouer sa vie à redresser les torts commis à l’encontre des
Siciliens. À la fin, les sénateurs de Syracuse votèrent presque à l’unanimité l’annulation
de leur panégyrique de Verres (qu’ils jurèrent n’avoir accepté de faire que
parce qu’ils y avaient été obligés par Metellus). Au milieu des acclamations,
quelques-uns parmi les plus jeunes membres de l’assemblée lancèrent des cordes
autour du cou de la statue de Verres et l’abattirent pendant que d’autres – plus
efficacement – apportaient une profusion de nouvelles preuves des
crimes de Verres consignés dans les archives secrètes du Sénat. Ces actes
indignes incluaient le vol de vingt-sept portraits inestimables dans le temple
de Minerve – même les portes superbement décorées du sanctuaire
avaient été emportées ! – ainsi que tous les détails des
pots-de-vin que Verres avait exigés pour rendre des verdicts de non-culpabilité
lorsqu’il exerçait ses fonctions de juge.
On avait maintenant eu vent de cette assemblée et
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