Imperium
plaisanta-t-il, bien qu’il eût
la voix et les mains qui tremblaient – il nous apparaissait
maintenant clairement que toute cette mission et peut-être même sa vie étaient
menacées. Mais quand on cherche le pouvoir et qu’on est un homme nouveau,
ajouta-t-il presque pour lui-même, on n’a pas le choix. Personne ne va nous le
servir sur un plateau.
Nous rentrâmes aussitôt chez Flavius et travaillâmes toute
la nuit, à la faible lueur de lampes à huile crachotantes et de bougies
siciliennes qui nous enfumaient, pour préparer l’audience du lendemain matin.
Honnêtement, je ne voyais vraiment pas ce que Cicéron pouvait espérer, sinon l’humiliation.
Metellus ne lui accorderait jamais de jugement en sa faveur, outre le fait – comme
Cicéron l’avait avoué en privé – que la loi allait dans le sens de la
société des impôts. Mais, pour citer le noble Térence, la fortune sourit aux
audacieux, et elle sourit certainement à Cicéron cette nuit-là. C’est le jeune
Frugi qui fit la découverte capitale. Je n’ai, dans ce récit, pas mentionné
Frugi aussi souvent que je l’aurais dû, principalement parce qu’il était doté
de cette gentillesse discrète qui ne suscite guère le commentaire et qui ne se
remarque que quand la personne a disparu. Il avait passé la journée sur les
archives de la société des impôts et, le soir, bien qu’il eût attrapé le rhume
de Cicéron, il refusa d’aller se coucher et s’attaqua aux preuves rassemblées
par le sénat de Syracuse. Minuit devait être passé depuis longtemps lorsque je
l’entendis pousser une exclamation. Puis il nous fit signe de le rejoindre à sa
table. S’y trouvait disposée toute une série de tablettes de cire qui donnaient
le détail des opérations bancaires de la société. En soi, les listes de noms,
les dates et les sommes prêtées ne signifiaient pas grand-chose. Mais lorsque
Frugi les eut comparées à la liste établie par les Syracusains de ceux qui
avaient été forcés de payer des pots-de-vin à Verres, nous pûmes constater qu’elles
correspondaient tout à fait : ils avaient acquis les fonds dont ils
avaient besoin en empruntant. Plus spectaculaire encore fut l’effet produit
quand il nous montra un troisième ensemble de comptes : les reçus de la
société. Aux mêmes dates exactement, les mêmes sommes avaient été redéposées
auprès de la société des impôts par un certain Gaius Verrucius. L’identité du
déposant était si grossièrement déguisée que nous éclatâmes tous de rire :
de toute évidence, le nom inscrit au départ était bien « Verres »
mais, chaque fois, les deux dernières lettres avaient été grattées et l’on
avait ajouté « ucius » par-dessus.
— Donc, Verres exigeait des pots-de-vin, commenta
Cicéron avec une excitation grandissante, et insistait pour que ses victimes
empruntent les sommes nécessaires à Carpinatius – sûrement à un taux
d’intérêt exorbitant. Puis il réinvestissait le produit de ses extorsions avec
ses amis de la société des impôts, de sorte que non seulement il protégeait son
capital, mais il gagnait aussi des parts de profit supplémentaire ! Quel
scélérat génial ! Quel scélérat génial, cupide et stupide !
Et après avoir exécuté une petite danse joyeuse, il jeta les
bras autour d’un Frugi tout embarrassé et l’embrassa chaleureusement sur les
deux joues.
De tous les triomphes que remporta Cicéron dans les
tribunaux, je dois dire que celui qu’il connut le lendemain fut parmi les plus
chers à son cœur – surtout si l’on considère que, d’un point de vue
technique, il s’agissait d’une défaite et non d’une victoire. Il sélectionna
les preuves qu’il devait emporter à Rome, et Lucius, Frugi, Sositheus, Laurea
et moi-même portâmes chacun une caisse de documents au forum de Syracuse, où
Metellus avait dressé son tribunal. Une foule immense de gens du cru s’était
déjà rassemblée. Carpinatius nous attendait. Il se prenait pour un grand
juriste et se représenta lui-même, citant tous les statuts et la jurisprudence
établissant que les registres des impôts ne pouvaient être sortis de la
province, et donnant dans l’ensemble l’impression de n’être que l’humble
victime d’un sénateur trop puissant. Cicéron gardait tête baissée et affichait
une telle attitude d’abattement que j’eus du mal à conserver mon sérieux.
Quand, enfin, il se leva, il s’excusa
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