Imperium
d’avoir bafoué la loi, implora le pardon
du gouverneur, promit de restituer volontiers les documents à Carpinatius, mais – il
s’interrompit – mais il y avait cependant un petit point qu’il ne
comprenait pas et qu’il aimerait bien qu’on éclaircisse pour lui auparavant. Il
prit une des tablettes de cire et l’examina en affichant le plus complet
désarroi.
— Qui est exactement Gaius Verrucius ?
Carpinatius, qui souriait d’un air satisfait, évoqua soudain
un homme qui venait d’être transpercé par une flèche en pleine poitrine pendant
que Cicéron, jouant l’étonné et faisant comme si tout cela constituait un
mystère qui le dépassait, soulignait la coïncidence entre les noms, les dates
et les sommes inscrits dans les registres de la société des impôts et les
demandes de pots-de-vin rassemblées par le sénat de Syracuse.
— Et il y a encore autre chose, ajouta Cicéron sur un
ton aimable. Ce monsieur, qui a traité tant d’affaires avec vous, n’apparaît
pas dans vos comptes avant l’arrivée en Sicile de son presque homonyme Gaius
Verres, et n’a plus rien signé avec vous depuis le départ de Gaius Verres.
Mais, pendant les trois ans de la présence de Verres, il était votre plus gros
client. Et il est tout de même malheureux – vous voyez ?
demanda-t-il à la foule en lui montrant les comptes – que, chaque
fois que l’esclave qui tenait tes registres devait inscrire son nom, il ait
commis la même faute de style. Mais voilà. Je suis sûr que tout cela s’explique
très simplement. Aussi, le mieux serait sans doute que tu dises à la cour qui
est ce Verrucius et où on peut le trouver.
Carpinatius lança un regard désespéré à Metellus pendant que
quelqu’un criait dans la foule :
— Il n’existe pas !
— Il n’y a jamais eu de Verrucius en Sicile !
lançait un autre. C’est Verres !
— C’est Verres ! C’est Verres ! reprit la
foule en chœur. Cicéron leva la main pour leur intimer le silence.
— Carpinatius insiste sur le fait que je n’ai pas le
droit de sortir ces archives de la province, et je concède que, d’après la loi,
il a raison. Mais il n’est dit nulle part dans la loi que je ne doive pas faire
de copies tant qu’elles sont rigoureuses et contrôlées par des témoins. Tout ce
dont j’ai besoin, c’est d’un peu d’aide. Qui m’aidera à copier ces dossiers
afin que je puisse les présenter à Rome et traduire ce porc de Verres devant la
justice pour ses crimes contre le peuple de Sicile ?
Une forêt de mains se dressa aussitôt. Metellus tenta de réclamer
le silence, mais ses paroles se perdirent dans le tumulte des gens qui criaient
leur soutien. Avec l’aide de Flavius, Cicéron repéra les personnalités les plus
éminentes de la ville – siciliennes et romaines – et les
invita à s’avancer pour prendre une part des preuves. Puis je tendis à chaque
volontaire une tablette et un style. Je voyais du coin de l’œil Carpinatius
chercher frénétiquement à rejoindre Metellus, et je voyais celui-ci, bras
croisés, contempler d’un air furieux, depuis son banc surélevé, le chaos qui
régnait dans son tribunal. Il finit par se contenter de tourner les talons et
gravit avec colère les marches derrière lui pour disparaître dans le temple.
Ainsi se termina la visite de Cicéron en Sicile. Metellus,
je n’en doute pas, aurait donné cher pour faire arrêter Cicéron, ou du moins
pour l’empêcher d’emporter des preuves. Mais Cicéron avait mis trop de gens de
son côté, tant parmi la communauté romaine que sicilienne, que son arrestation
aurait déclenché une émeute et, comme Metellus l’avait avoué lui-même, il n’avait
pas les troupes nécessaires pour contrôler toute la population. À la fin de l’après-midi,
les copies des dossiers de la compagnie des impôts étaient contresignées par
les témoins, scellées et transportées sur notre bateau qui attendait sous bonne
garde au port, où elles rejoignirent les autres malles de preuves à charge.
Cicéron ne resta lui-même qu’une autre nuit sur l’île, à dresser la liste des
témoins qu’il espérait présenter à Rome. Lucius et Frugi acceptèrent de rester
à Syracuse pour organiser leur voyage.
Le lendemain matin, ils accompagnèrent Cicéron au port. Une
foule d’admirateurs avait envahi les quais, et il fit un beau discours de
remerciement.
— Je sais que je transporte dans ce vaisseau fragile
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