Imperium
à faire chaud. Il pénétra avec ses pairs dans l’enceinte
de corde et entreprit d’exploiter la foule comme il savait le faire – un
mot par-ci, la main posée sur un coude par-là. Puis ils se rangèrent en ligne
et défilèrent devant la table où on leur demandait leur nom avant de leur
remettre leur plaquette de vote. S’il devait y avoir manœuvres d’intimidation,
c’est généralement là que cela se passait, car les partisans de chaque candidat
pouvaient s’approcher tout près des électeurs pour leur murmurer promesses ou
menaces. Mais, ce jour-là, tout était calme, et je regardai Cicéron franchir le
pont de bois et disparaître derrière les planches pour voter. Lorsqu’il émergea
de l’autre côté, il dépassa la file des candidats et de leurs amis qui se
tenaient sous une tente et s’arrêta pour s’entretenir brièvement avec Palicanus – l’ancien
tribun se présentait à la préture – puis sortit sans un regard pour
Hortensius ou Metellus.
Comme celles qui l’avaient précédée, la centurie de Cicéron
soutenait la liste officielle – Hortensius et Quintus Metellus au
consulat ; Marcus Metellus et Palicanus à la préture – et il ne
s’agissait plus que d’attendre d’avoir atteint la majorité absolue avant de
clore les votes. Les plus pauvres devaient savoir qu’ils n’influeraient guère
sur l’issue du scrutin, mais le droit de vote représentait un tel privilège qu’ils
restèrent tout l’après-midi debout en pleine chaleur, à attendre leur tour de
prendre leurs plaquettes et de franchir le pont. Cicéron et moi parcourûmes les
rangs des électeurs dans le cadre de sa campagne pour l’édilité, et je m’étonnai
encore de voir combien il connaissait de gens personnellement – non
seulement le nom des électeurs eux-mêmes, mais aussi celui de leur épouse, le
nombre de leurs enfants et ce qu’ils faisaient dans la vie, le tout sans
attendre mes renseignements. À la onzième heure, alors que le soleil commençait
tout juste à plonger vers le Janicule, on arrêta enfin les votes et Pompée
annonça les vainqueurs. Hortensius arrivait premier dans les scrutins, avec
Quintus Metellus comme deuxième consul ; Marcus Mettellus l’avait emporté
pour la préture. La foule en liesse de leurs partisans les entourèrent, puis,
pour la première fois, nous vîmes la silhouette aux cheveux roux de Gaius
Verres se glisser au premier rang – « Le maître des marionnettes
vient saluer », remarqua Cicéron – et l’on aurait pu croire, à
la façon dont les aristocrates lui serraient la main et lui assenaient des
claques dans le dos, que c’était lui qui avait gagné l’élection. L’un d’eux,
ancien consul du nom de Scribonius Curion, étreignit Verres et lui annonça,
assez fort pour que tout le monde pût entendre :
— Je peux désormais t’annoncer que cette élection
signifie ton acquittement !
Il y a en politique peu de choses plus difficiles à contrer
que le sentiment d’inéluctabilité, car les humains agissent en troupeaux et se
précipiteront toujours comme des moutons vers la sécurité du vainqueur. De tous
côtés, on entendait à présent la même opinion : Cicéron était fichu,
Cicéron était fini, les aristocrates reprenaient le pouvoir et aucun jury ne
condamnerait Gaius Verres. Aemilius Alba, qui se croyait spirituel, racontait à
qui voulait l’entendre qu’il était désespéré : le marché s’était effondré
pour les jurés de Verres, et il n’arrivait plus à se vendre plus de trois mille
sesterces. L’attention générale se reporta donc sur les élections prochaines au
poste d’édile, et Cicéron ne tarda pas à découvrir des traces de l’œuvre de
Verres en arrière-plan de cette campagne aussi. Ranunculus, agent électoral
bien disposé à l’égard de Cicéron et qui fut par la suite employé par lui, vint
prévenir le sénateur que Verres avait organisé, chez lui, de nuit, une réunion
de tous les professionnels de la corruption et avait offert cinq mille
sesterces à tous ceux qui arriveraient à persuader leur tribu de ne pas voter
pour Cicéron. Je voyais bien que Cicéron et son frère s’inquiétaient. Mais le
pis était à venir. Quelques jours plus tard, à la veille du vote, le Sénat se
réunit sous la direction de Crassus, pour assister au tirage au sort qui devait
déterminer quelle cour présiderait chaque préteur désigné lorsqu’ils
prendraient leurs fonctions,
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