Imperium
« Et j’espère que tes allocutions à la cour
seront un peu plus brèves », dit-il à Hortensius, qui répliqua par un
petit sourire suffisant. Il ne restait plus qu’à sélectionner un jury. Ce qui
fut fait le lendemain. La loi imposait trente-deux sénateurs, tirés au sort.
Chaque partie avait droit à six objections, mais, même après que Cicéron eut
utilisé toutes ses récusations, le jury demeurait d’une hostilité décourageante :
il comprenait – encore – Catulus et son protégé Catilina
ainsi qu’une autre grande figure du Sénat, Servilius Vatia Isauricus ;
Marcus Metellus lui-même se glissa dans le nombre. À côté de ces aristocrates
purs et durs, nous pouvions également faire une croix sur des cyniques comme
Aemilius Alba, Marcus Lucrecius et Antonius Hybrida, qui se vendraient
immanquablement au plus offrant, et Verres ne se montrait pas avare de ses
richesses. La signification de l’expression « se rengorger comme un paon »
ne m’apparut réellement que lorsque je vis le visage d’Hortensius le jour où le
jury fut constitué. Il avait de quoi être comblé : le consulat était dans
sa poche et, avec lui, il n’en doutait plus, l’acquittement de Verres.
Les jours qui suivirent furent les plus éprouvants pour les
nerfs que Cicéron eût jamais endurés. Le matin de l’élection consulaire, il
était si déprimé qu’il eut peine à se forcer à se rendre au Champ de Mars pour
voter. Mais il fallait bien sûr qu’il soit vu comme un citoyen actif. Le
résultat ne fut jamais mis en doute dès l’instant où sonnèrent les trompettes
et où le drapeau rouge fut hissé au sommet du Janicule. Hortensius et Quintus
Metellus étaient tous deux soutenus par Verres et son or, par les aristocrates
et par les partisans de Pompée et de Crassus. Néanmoins, il règne toujours en
ces occasions une atmosphère de compétition, quand les candidats et leurs partisans
quittent la ville de bonne heure le matin pour gagner les parcs de vote tandis
que les commerçants les plus dynamiques proposent dès l’ouverture vin et
saucisses, parasols et dés, ainsi que tout ce qui est nécessaire pour apprécier
une bonne élection. Pompée, en tant que premier consul en activité et suivant
la coutume, se tenait déjà à l’entrée de la tente du président du bureau de
vote, un augure à son côté. Dès que tous les candidats au consulat et à la
préture, soit une vingtaine de sénateurs, se furent alignés dans leur toge
blanchie, il monta sur l’estrade et lut la prière traditionnelle. Les votes
commencèrent peu après, et les milliers d’électeurs n’eurent plus qu’à traîner
et bavarder jusqu’à ce que vienne leur tour d’entrer dans les parcs.
C’était la vieille république à l’œuvre, chacun votant dans
la centurie qui lui était attribuée, comme dans les temps anciens, quand les
soldats élisaient leur général. Maintenant que ce rite a perdu toute
signification il est difficile de s’imaginer ce que ce spectacle avait d’émouvant,
même pour un esclave tel que moi, qui n’avait pas le droit de vote. Il
incarnait quelque chose de merveilleux – un élan de l’esprit humain
qui avait pris vie un demi-millénaire auparavant, parmi ce peuple indomptable
qui vivait au milieu des rochers trop durs et des marais trop meubles des Sept
Collines, un élan vers la lumière de la liberté et de la dignité, pour échapper
aux ténèbres et à l’asservissement bestial. Voilà ce que nous avons perdu. Non
qu’il s’agît d’une vraie démocratie aristotélicienne, loin de là. La préséance
par les centuries – qui étaient au nombre de cent quatre-vingt-treize – a
toujours été déterminée par la fortune, et les classes les plus riches ont
toujours voté en premier et annoncé les candidatures en premier aussi :
soit un avantage significatif. Ces centuries avaient également l’avantage de
comprendre moins de membres, alors que celles des pauvres, comme la centurie
des bas quartiers de Subura, étaient vastes et très peuplées ; il en
résultait donc que la voix d’un homme riche avait plus de valeur. Pourtant, c’était
la liberté telle qu’on l’appliquait depuis des siècles, et personne sur le
Champ de Mars ne s’imaginait qu’on puisse un jour la lui retirer.
La centurie de Cicéron, l’une des douze qui comptaient
uniquement des membres de l’ordre équestre, fut appelée en milieu de matinée,
au moment où il commençait
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