Jacques Cartier
deux roches.
—Qu'est cela, mon doux ? fit Constance redevenue craintive ; qu'y a...
Le reste de la phrase expira sur ses lèvres ; et elle roula sur la grève près de Georges, qui tombait, frappé, comme elle, d'une balle égarée..
La jeune fille avait perdu connaissance.
Quand elle recouvra la raison, Constance était couchée en sa chambre de la maison de Cartier. On lui apprit qu'elle avait été blessée involontairement, dans une rencontre qui avait eu lieu sur la Grande-Conchée, entre des soldats de la garde de Saint-Malo et des pirates qu'on supposait être les Tondeux. Constance trembla en Songeant à Georges.
Un mot la rassura.
—Si c'étaient les Tondeux, on n'a pu en prendre aucun, ajouta dame Catherine qui lui donnait ces explications. Heureusement, ma chère fille, que les gardes sont arrivés à temps pour te délivrer ; sans eux, Jésus-Sauveur ! quel sort...
La pudibonde dame Catherine s'arrêta, honteuse d'en avoir trop dit.
—Aussitôt que tu seras relevée, mon enfant, continua-t-elle après une pause, nous irons rendre nos actions de grâces à Saint-Malo-du-Laurier ; car c'est miracle que tu aies échappé à la tempête, puis aux brigands, puis à la mousqueterie de nos gardes.
—Mais quels gardes ? interrogea Constance.
—Les gardes de la ville. Ils surveillaient, depuis plusieurs jours, paraît-il, les allées et venues de gens suspects, parmi lesquels se trouve, assure-t-on, un prétendu seigneur...
—Le sire de Maisonneuve, n'est-ce pas ? interrompit Constance d'un ton calme.
—Lui-même, ma fille. Il n'était point avec eux, sans doute ?
Et dame Catherine jetait sur Constance un coup d'oeil timide.
—Avec eux ? où ? fit celle-ci d'un air étonné.
—Mais, sur la roche ?
—Je ne l'ai point vu.
Du reste, je le connais à peine. En abordant à l'écueil, j'ai trouvé la cacou [En Bretagne, l'on donnait ce nom aux juifs, aux excommuniés, aux parias de la société.], qui m'a réchauffée et prêté des vêtements.
—Pauvre malheureuse ! Il faudra la récompenser. C'est déplorable qu'elle soit possédée ; n'était cela, nous la prendrions à la maison...
—Ah ! gémit Constance, je sens une douleur au côté...
—C'est là que tu as été blessée, mon enfant. On t'a rapportée demi-morte. Par bonheur, un des gardes te connaissait... Mais, pendant plus d'un mois, tu as eu la fièvre chaude... La sage-femme n'osait répondre de tes jours... Et tu divaguais, mon enfant ; tu divaguais !... Tu croyais voir le sire de Maisonneuve, tu l'appelais, ajouta-t-elle en rougissant...
—Vraiment ! proféra la jeune fille du ton le plus innocent.
—C'est pourquoi, reprit Catherine, j'avais imaginé qu'il était avec les Soudards et qu'il t'avait arrachée à l'abîme...
—Quelle idée ! fit Constance avec un geste de négation.
—Ah ! chère fille, continua la, bonne dame, en l'embrassant tendrement, te voici rendue à toi, c'est l'essentiel. Béni soit le saint nom de ma bienheureuse patronne qui a exaucé mes voeux !...
—Mais toi, mère, comment es-tu sortie de la tourmente ? demanda enfin Constance.
Moi, répondit-elle simplement, je dois la vie au Seigneur tout-puissant, à Colas, l'un de nos mariniers, qui m'a transportée sur l'île de Césembre, où les pères cordeliers nous ont donné tous les secours possibles.
—Quoi ! vous avez été poussés sur Césembre, à près d'un mille de l'endroit où nous avions naufragé ? dit Constance, souriant à la pensée que, sans l'attaque des gardes, dame Catherine aurait pu être témoin de son mariage avec Georges.
—Allons ! assez, mon enfant ! c'est trop causer, reprit la femme de Cartier, en bordant le lit ; dors... On m'a recommandé pour toi le silence et le repos. Un autre jour nous nous conterons, par le menu, de quelle manière, avec l'aide de Dieu, nous avons été préservées de la mort.
La convalescence de la jeune fille commençait, car sa blessure, peu profonde, avait eu des suites moins sérieuses que la congestion cérébrale, déterminée en partie par la soudaineté et la violence des émotions qu'elle avait éprouvées. Mais d'abondantes saignées l'avaient fort affaiblie. Quatre mois après l'accident, elle ne pouvait encore sortir de sa chambre.
Loin d'altérer le sentiment qu'elle nourrissait pour Georges de Maisonneuve, le sombre mystère planant sur sa tête avait doublé l'intérêt que lui portait Constance. Ce mystère formait auréole au front du jeune homme. Elle s'irritait
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