Jacques Cartier
cette nuit, cette affreuse nuit, voisin !... Et leur chef, le chef des bandits, mais je le vois encore, avec son chapeau noir et sa plume noire !... Il était grand, voisin, plus grand que la croix du clocher de Saint-Aaron...
—Bien à l'encontre, compère, l'on m'avait assuré que sa taille ne dépassait pas celle d'un teus [Pour dus, gnome.].
—Raison de plus pour que ce soit Satan lui-même ! N'a-t-il pas le pouvoir de prendre toutes les formes ?
Ah ! mon voisin, mon voisin ; depuis lors, mes filles en rêvent ; elles osent me soutenir que c'est un galant cavalier... dans leurs rêves, entendons-nous.
—Voire, compère, c'est ce que déclare ma femme. Et, je vous le confesse, à l'oreille, je l'ai entendue, oui, ma femme Brigitte, l'appeler tout haut, alors qu'elle était couchée à mon côté !
Ces quelques mots de conversation résument les entretiens auxquels se livraient, à peu près soir et matin, les bons négociants de Saint-Malo, sous l'auvent des boutiques. Jugez par là du grossissement que les commères devaient donner aux objets de leurs transes. Les Tondeurs n'en prenaient pas plus soin, cela se comprend aisément, que des mesures de vigilance multipliées contre eux.
Mais ce que l'on ignorait à Saint-Malo, ce que l'on sut plus tard, trop tard, c'est que les brigands s'introduisaient dans la ville et s'en échappaient, à leur gré, par un égout. Cet égout débouchait dans la mer au nord-est. Là, une forte grille défendait son entrée.
Cette grille, aux barreaux très-épais, aux mailles serrées, paraissait scellée à demeure. Mais, en l'examinant de près, un observateur attentif eût fini par découvrir, dans la frette, un trou de serrure. La grille était une porte. La porte ouverte, vous vous trouviez dans un couloir ténébreux, visqueux, tapissé de conferves, rempli d'exhalaisons salines. Le flot le balayait, à haute marée. Après quelques pas dans la galerie souterraine, on se heurtait à une nouvelle porte. De fer plein celle-ci.
Seulement, elle ne joignait pas le sol, par en bas. Un espace d'un demi-pied environ permettait aux eaux de s'écouler, et empêchait qu'elle ne fût enfoncée quand la vague faisait effort à l'extérieur.
Supposez l'obstacle franchi et avancez d'une cinquantaine de toises.
Vous rencontrerez une troisième grille, semblable à la première, puis un escalier. Et cet escalier, de vingt-cinq marches, vous conduira, en montant, à un regard. Le regard s'ouvre, comme le reste. Vous voici dans une petite pièce circulaire, éclairée parcimonieusement par un soupirail grillagé, la base d'une tour, suivant toutes probabilités.
C'est une tour, en effet. Elle existe encore, dans un état de réparation passable. On la peut voir et visiter, en la cour la Houssaye, où elle flanque tristement une grande et vieille maison, à quatre étages, aussi, mélancolique qu'elle, dans cette cour étroite, sombre, humide, que les rayons du soleil doivent n'échauffer jamais. Été comme hiver, il y fait froid au corps ; il y fait aussi froid à l'âme, en toutes saisons.
La tour, cependant, ne manque pas d'une certaine légèreté. Elle a même des prétentions à l'élégance. On y remarque quelques traces de sculptures, d'assez bon goût. Mais bien que couronnée par un simulacre de mâchicoulis, bien qu'hexagone à son quatrième étage, ronde ensuite jusqu'à ses fondements, ce qui lui prête une figure originale, les galets bruts dont elle est bâtie la revêtent d'une physionomie maussade, presque lugubre.
Rares, au surplus, étroites comme des lucarnes, sont les fenêtres.
Au pied de l'édifice, et à son angle de mitoyenneté avec la maison, il y avait une porte basse, cintrée, qui se fermait au moyen d'un lourd battant, garni de plaques et de bandes de fer. Bouchée aujourd'hui, cette porte restait ordinairement close. La tour semblait abandonnée. Mais de la maison attenante on y communiquait par un panneau secret.
Cette maison n'est plus maintenant telle qu'elle était alors.
Point d'habitants au rez-de-chaussée. Prudemment munies de barreaux, les fenêtres étaient encore fermées par des volets intérieurs. Au premier étage, de vastes salles, parfois brillamment éclairées, et ou les accords du biniou se mêlaient au bruissement des baisers, aux éclats de rire, au choc des verres. Souvent aussi ces salles étaient muettes. Des semaines entières se passaient sans qu'un hôte y parût.
Tour et maison appartenaient, en 1534, à un charmant
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