Jacques Cartier
en déchira la visière, qui était assez allongée, suivant la mode adoptée et répandue, en Bretagne, par le duc François II.
Cette visière renfermait un ressort et une lame d'acier tranchante.
Georges saisit la lame entre ses dents et coupa ses liens. Cela fait, de la semelle de ses chaussures, il retira deux fines limes,—l'une queue-de-rat, l'autre tiers-point,—et un mince caillou de silex. Dans ses braies, il trouva du linge à demi consumé et une rondelle de cerei ou bougie. Georges battit le briquet, alluma sa bougie.
Ces préparatifs terminés, il revint à la porte, l'inspecta avec un soin minutieux et se mit à scier les peintures.
Doucement, l'oreille aux aguets, mais rapidement, il poursuivait son opération, quand de sourdes rumeurs vinrent le distraire. Georges s'arrêta. Les rumeurs augmentaient. Il éteignit sa lumière. Mais, grande surprise, un flot de clarté jaillit aussitôt dans la prison, par le soupirail.
Le tintement lugubre des cloches et les cris ; «Au feu ! au feu !» devenaient distincts. Maisonneuve conjectura ce qui se passait.
—Mort de ma vie ! proféra-t-il gaiement ; je ne me trompe pas. Ce sont mes hommes qui ont préparé quelque incendie pour me tirer d'ici. Ils profiteront du trouble causé par cet incendie et envahiront le château. Décidément, cet Eric est un gaillard d'esprit ! Mais, de la prudence, de la prudence ! on ne sait trop ce qui peut arriver.
En se parlant ainsi, le chef des Tondeurs faisait, avec de la mie de pain, frotté sur la rouille, disparaître les traces de son travail. Puis il cachait ses limes et ses autres outils entre les pierres disjointes du pilier. De la mie de pain, plaquée en guise de mortier dans les fentes, achevait de les dérober aux regards. Et Maisonneuve s'étendait sur sa paille, après avoir, tant bien que mal, rattaché ses poignets avec un fragment de sa corde, dont l'autre bout fut fourré dans la litière.
Le bruit dura plus de deux grandes heures.
Georges écoutait anxieusement. Aux vociférations se mêlèrent bientôt des détonations, un cliquetis d'armes. La réalité se substituait aux probabilités. C'étaient bien les Tondeurs qui attaquaient la ville. Éloignées d'abord, les détonations se rapprochèrent. Pendant un moment, il parut à Georges qu'elles avaient lieu dans la cour même du château. Il palpitait d'émotion, mais craignait de faire un mouvement.
Tout à coup, les lueurs qui l'éclairaient du dehors cessèrent de briller. Il retomba dans les ténèbres. Ensuite le tumulte s'apaisa. Georges sentit l'espérance l'abandonner. Le grincement d'une serrure lui rendit toutes ses fiévreuses incertitudes. A travers l'ombre épaisse, les yeux du jeune homme se fixèrent sur la porte. Après quelques minutes d'intervalle troublées par le crissement du fer sur le fer, cette porte s'ouvrit. Deux hommes parurent au seuil. L'un d'eux portait à la main une lanterne et un lourd trousseau de clefs.
—Au moins, dit-il, si nous perdons les deux autres, celui-ci nous reste.
—Ne prétend-on pas que c'est le chef de ces Soudards ? demanda son compagnon.
—Ça leur chef ! fit avec mépris le geôlier, en plaçant sa lanterne sous le visage de Georges.
—Ce n'est effectivement guère probable ; nous le ferons examiner dans quelques jours, repartit l'autre, que Maisonneuve reconnut pour le gouverneur du château.
Après ces mots, les deux visiteurs se retirèrent. D'ailleurs, on avait dû redoubler de vigilance. Georges ajourna au lendemain soir la continuation de son entreprise. Mais le lendemain devait lui être fatal.
De bonne heure, un gardien entra dans son cachot et lui ordonna de le suivre.
Maisonneuve devina ce qu'on voulait. Et il se repentit amèrement de n'avoir pas poursuivi, la veille, son audacieuse tentative ; car il voyait bien qu'on allait lui faire subir un interrogatoire, le soumettre à la question. Mais les paroles du gouverneur l'avaient trompé.
Conduit dans le petit Donjon, on le fit descendre en une salle basse, étouffée, dont le sol se trouvait au-dessous du niveau de la mer. Cette salle, carrée, ne recevait d'air que par une étroite imposte. Plusieurs portes et un noir corridor en précédaient l'entrée.
Quand Maisonneuve fut introduit dans cette cave, une lampe et un brasier éclairaient ses sinistres profondeurs. On y respirait je ne sais quelle odeur écoeurante de graisse et de chairs grillées. Des instruments de supplice, des pinces, des tenailles, des chevalets,
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