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Je n'aurai pas le temps

Je n'aurai pas le temps

Titel: Je n'aurai pas le temps Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Hubert Reeves
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infiniment touché de l’attention qu’il me porte et de l’application qu’il met à répondre à mes questions.
    Pour l’anecdote, ses enseignements m’ont aussi valu des remontrances à l’école, notamment quand, à la question du cours de catéchisme « Nommez des êtres invisibles », j’ai répondu : « Les anges, les démons, les microbes et les chromosomes. » Ce dernier mot me plaisait particulièrement. Je tenais à l’utiliser ! Plus tard, mes parents m’ont offert un livre intitulé Les Microbes . Je l’ai lu et relu : il est encore dans ma bibliothèque et je m’y replonge quelquefois pour retrouver l’ambiance merveilleuse de ces instants.
    Sur une autre table, un grand aquarium plein d’une eau verdâtre fourmille lui aussi d’organismes variés. Tenant à la main un petit morceau de pain, Louis-Marie s’en approche en appelant doucement : « Petit-petit-petit-petit… » Un poisson noir à barbiche émerge de la végétation dense : c’est une « barbote » (barbue), qui suit le mouvement de la main, repère, saisit et avale la nourriture que ces doigts légèrement plongés dans l’eau lui apportent. Je suis frappé par le rapport que cet homme a su établir avec cet animal des marécages à l’apparence si peu conviviale.
    Déterminante aussi, une visite à la ferme expérimentale de la Trappe, alors affiliée au département de génétique de l’université de Montréal (l’Église et l’État n’étaient pas encore séparés), me plonge littéralement dans une grande fascination. On nous montre la dernière réussite du laboratoire : les coqs « Chanteclair », à la crête d’un rouge violent, qui déambulent à grands pas parmi les poules caquetantes. Nés du croisement de deux variétés différentes (on peut voir les parents dans des enclos voisins), ils sont capables de supporter les grands froids hivernaux du Québec dans des poulaillers non chauffés. J’écoute avec le plus grand respect ce que disent les hommes qui ont réalisé un tel exploit, et je regarde ébahi ces animaux issus de leurs recherches génétiques : une séance de magie sans trucages… Je ressens le fait d’être admis dans ce lieu extraordinaire comme un grand privilège. Pour rien au monde je ne donnerais ma place. Je crois que ces moments exaltants m’ont marqué pour la vie. C’est sans doute là que ma carrière de scientifique s’est décidée : « Voilà ce que je ferai quand je serai grand. »
    Appartenant à un ordre particulièrement sévère, Louis-Marie mène au monastère une vie des plus ascétiques. Silence perpétuel, régime végétarien et jamais de sorties. En tant que botaniste, il est chargé de ce qui deviendra le fameux « Herbier Louis-Marie », conservé à l’universitéLaval de Québec. Grâce à cette fonction, il bénéficie d’un traitement de faveur lorsqu’il doit effectuer des « sorties sur le terrain ».
    Ses périples – qui en principe ne devraient l’amener que vers des régions difficiles d’accès – passent régulièrement chez nous, à Bellevue, sur le bord du lac Saint-Louis. Notre maison prend alors des airs de fête bien inhabituels. Manon, souriante comme jamais, lui prépare des grillades de bœuf « T-bone » dont l’odeur m’est restée en mémoire. L’après-midi, nous avons droit à une excursion dans les bois avoisinants, dont, semble-t-il, la richesse végétale justifie de longues séances d’herborisation.
    Nous arpentons les champs et les bois. Muni d’un cartable et d’une loupe, Louis-Marie, les yeux rivés sur le sol, écarte de sa canne les branches basses et les fougères.
    Soudain, il se penche vers une fleur blanche coincée entre une pierre et un tronc pourrissant, la cueille en plongeant ses doigts jusqu’aux racines, et nous la présente, grossie derrière la lentille. Le flou blanchâtre que nous percevons tout d’abord se transforme alors en un paysage merveilleux. De son centre émergent de minces tiges beiges qui se courbent autour d’une vasque aux nuances de rose et festonnée de vert tendre. Puis, Louis-Marie, tout en mâchonnant consciencieusement les feuilles, nous parle de l’usage médicinal qu’en faisaient les Iroquois.
    Je reste encore imprégné du souvenir de cet homme souriant qui me tend la loupe pour observer de près une fleur des bois et me parle des étamines roses et du carpelle blanc…
    Il est le « présentateur », l’intermédiaire qui dit :

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