Je suis né un jour bleu
soupe de cailloux est meilleure
avec du chou », feint de se dire à lui-même le soldat à voix haute. L’un
des villageois approche et lui tend un chou. Alors le soldat dit : « Un
jour, j’ai eu de la soupe de cailloux avec du chou et un peu de bœuf salé :
un festin de roi ! » Convaincu, le boucher du village lui apporte un
peu de bœuf salé et, un par un, les autres villageois lui fournissent des
pommes de terre, des oignons, des carottes, des champignons jusqu’à ce qu’il
fasse un mets délicieux pour tout le village. À l’époque, je trouvais l’histoire
assez intrigante parce que je ne comprenais pas pourquoi le soldat prétendait
faire une soupe avec une pierre dans la seule intention de tromper les villageois.
Ce n’est que plusieurs années plus tard que je compris finalement le sens de l’histoire.
Mais certaines fictions m’effrayaient
trop. Une fois par semaine, on apportait la télévision dans la classe et nous
regardions un programme éducatif : Look and Read. Il s’agissait d’une
série d’émissions pour enfants de la BBC, très populaire, et l’une des plus
regardées – les Tours obscures (Dark Towers ) – mettait en
scène une jeune fille, aidée de son chien, qui cherchait le trésor caché d’une
vieille maison inquiétante qu’on appelait Les Tours obscures.
Dans le premier épisode, la jeune fille, Tracy,
découvre la demeure et apprend qu’elle est hantée. À la
fin de l’épisode, un portrait de famille commence à s’animer et la pièce devient
très froide. Tracy entend une voix qui lui dit que la maison est en danger et
qu’elle doit la sauver. Je me souviens avoir vu cet épisode, en silence, mes
jambes se balançant doucement sous la chaise. Je n’ai ressenti aucune émotion
jusqu’à la fin, et, d’un seul coup, ce fut comme un bouleversement à l’intérieur
de ma tête. Je réalisai soudain que j’étais terrifié. Très agité, je sortis de
la classe, refusant d’y rentrer tant que la télévision n’en aurait pas été
retirée. En y repensant, je peux comprendre pourquoi les autres élèves m’ont
taquiné et m’ont appelé « Bébé-qui-pleure ». J’avais presque 7 ans et
aucun autre enfant de la classe n’avait été le moins du monde gêné ou effrayé
par l’épisode. Alors, chaque semaine, on me conduisait dans le bureau du directeur
et j’attendais le temps que le reste de la classe regarde la série. Le
directeur disposait d’une petite télévision dans son bureau et je me souviens d’avoir
regardé des courses automobiles : les voitures tournaient en rond sur le
circuit, très très vite. Ça, au moins, c’était un programme que je pouvais
regarder.
Je me souviens d’un autre programme de l’émission Look and Read qui m’a beaucoup perturbé. Il s’agissait d ’ À
travers l’œil du dragon . Trois enfants entraient à l’intérieur d’une
fresque qu’ils avaient peinte sur le mur d’un terrain de jeux et rejoignaient
une étrange contrée appelée Pelamar. Ce monde était en train de mourir et les
enfants étaient censés retrouver sa force vitale – une structure
hexagonale incandescente qui avait été éparpillée au loin par une explosion
– avec l’aide d’un dragon amical appelé Gorwen. Grâce à lui, les enfants
parcouraient le pays à la recherche des parties manquantes.
Je ne fis pas de caprice. J’étais plus
vieux, j’avais dix ans, mais le programme en lui-même me fascinait. Visuellement,
c’était très beau, les enfants étaient entourés de paysages variés et de couleurs
riches, pendant leur traversée du pays magique. Un certain nombre de
personnages de la série – gardiens de la force vitale – étaient
peints, de la tête aux pieds, de couleurs vives –, violet, orange et vert.
Il y avait une énorme souris qui parlait et une chenille géante. À un certain
moment, des flocons de neige tombaient dans les mains des enfants et se
métamorphosaient en lettres, qui formaient des mots (un indice pour retrouver
les parties manquantes de la force vitale). Dans une autre scène, les étoiles
se transformaient en signalisation lumineuse pour le dragon Gorwen. Des scènes
comme celle-ci me fascinaient parce que l’histoire était dite avant tout par l’image,
ce que j’assimilais mieux, bien mieux qu’un dialogue.
Regarder la télévision à la maison devint
une part importante de ma routine d’après-école. Ma mère me rappelle parfois
que j’étais
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