Je suis né un jour bleu
conduit à créer des
personnages atteints d’épilepsie dans quatre de ses romans : Kirilov dans Les
Possédés , Smerdiakov dans Les Frères Karamazov , Nellie dans Humiliés et offensés , et le prince Mychkine dans L’Idiot.
Dostoïevski décrit ainsi son expérience
de l’épilepsie :
Pendant un moment, je fais l’expérience
d’une joie qu’on n’éprouve pas dans un état normal et que les autres ne peuvent concevoir. Je ressens une harmonie parfaite en moi-même et
dans le monde entier. Le sentiment est si fort et si doux que pour ces quelques
secondes de félicité, on donnerait dix ans de sa vie, voire sa vie entière.
J’ai l’impression que le Paradis
est descendu sur la Terre et m’a avalé. Je suis vraiment parvenu jusqu’à Dieu
et je suis imbu de Lui. Vous qui êtes en bonne santé, vous n’avez pas même l’idée
de la joie dont nous, les épileptiques, nous faisons l’expérience pendant la
seconde qui précède la crise.
On pense également que l’écrivain et
mathématicien Lewis Carroll souffrait de crises d’épilepsie du lobe temporal, ce
qui lui aurait inspiré l’écriture de son plus fameux ouvrage : Alice au
pays des Merveilles . Le passage suivant décrit une expérience de chute
involontaire très similaire à celle qui intervient lors d’une crise d’épilepsie :
Alice n’eut même pas le temps de
songer à s’arrêter avant de se sentir tomber dans ce qui semblait être un puits
très profond. […] « Eh bien ! se dit Alice, après une pareille chute,
je n’aurais plus peur de tomber dans l’escalier ! » […] Elle tombait,
tombait, tombait. Cette chute ne prendrait-elle donc jamais fin ? [5]
Certains chercheurs pensent même qu’il
pourrait y avoir un lien entre l’épilepsie et la création. L’écrivain Eve
LaPlante l’évoque dans son livre Seized : Temporal Lobe Epilepsy as a
Médical, Historical and Artistic Phenomenon. Elle prend l’exemple célèbre
de Van Gogh qui souffrait de crises sévères qui le laissaient déprimé, hagard
et agité. Au plus fort de la maladie, Van Gogh produisait des centaines de
dessins, de toiles et d’aquarelles.
À environ 8 ans, pendant plusieurs mois, je
me suis mis à écrire compulsivement, souvent pendant des heures, sur des
rouleaux de papier à imprimante. Feuille après feuille, je notais des mots
minuscules et serrés les uns contre les autres. Mes parents devaient se
procurer d’immenses rouleaux pour moi, parce que je n’arrêtais pas. Mon
écriture manuscrite était illisible – une institutrice se plaignit d’avoir
à changer la correction de ses verres de lunettes pour me lire – tant j’avais
peur de manquer de papier pour écrire.
Je me souviens de peu de chose sinon de
descriptions très denses : une page entière pouvait être consacrée aux
différents détails d’un endroit ou d’un objet, ses couleurs, ses formes et ses
textures. Il n’y avait pas de dialogues, pas d’émotions. À la place, je
décrivais les longs tunnels qui s’aventuraient en zigzag dans des profondeurs
ténébreuses, sous les océans scintillants, les cavernes empierrées ou encore
les tours qui montaient jusqu’au ciel. Je n’avais pas besoin de penser à mon sujet.
Les mots semblaient juste sortir de ma tête. Même sans projet conscient, les histoires
étaient toujours compréhensibles. Je montrai l’une d’elles à mon institutrice, et
elle l’aima assez pour en lire des passages à haute voix, devant la classe. Mon
écriture compulsive disparut aussi soudainement qu’elle était venue. Néanmoins,
il m’en est resté une fascination éternelle pour les mots et le langage, ce qui
m’a depuis beaucoup servi.
De plus en plus d’épileptiques vivent
sans crise, grâce aux progrès de la médecine et des techniques. Le stigmate qu’était
autrefois l’épilepsie (et l’autisme) est en train de disparaître, mais les
troubles du cerveau ne sont pourtant pas mieux compris. À des parents d’enfants
épileptiques, je dirais qu’ils doivent s’informer le plus possible sur cette
maladie. Et que le plus important de tout, c’est de donner à leurs enfants la
confiance de s’accrocher à leurs rêves, parce que c’est cela qui façonne le
futur de chaque individu.
4
L’ÉCOLE
Pour moi, l’école primaire a commencé en
septembre 1984, au moment où mon frère Lee commençait à aller à la garderie. Le
matin, mon père m’accompagnait en classe, parfois avec une certaine
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