Je suis né un jour bleu
impatience
parce que je marchais très lentement et que je n’arrêtais pas de ramasser des
pierres pour les rouler entre mes doigts. Mon institutrice, Mrs. Lemon, était
une grande dame mince avec des cheveux noirs et courts. J’aimais son nom parce
que, quand je l’entendais, je voyais immédiatement la forme et la couleur du
fruit. Lemon (citron) fut l’un des premiers mots que j’appris à écrire.
Juste à côté des portes de l’école, il y
avait un vestiaire pour que les enfants puissent suspendre leurs manteaux avant
d’entrer en classe. Je n’aimais pas beaucoup aller dans cette pièce parce qu’il
n’y avait qu’une seule petite fenêtre située en hauteur et qu’il y faisait
toujours sombre. J’étais si terrifié à l’idée de perdre mon manteau ou d’en
prendre un autre qui lui ressemblait et de le rapporter à la maison que je
comptais les patères jusqu’à la mienne. Si je trouvais ma patère déjà occupée, j’en
étais très malheureux et j’avais peur. Je me souviens d’être un jour revenu en
classe avec mon manteau sur les épaules parce que ma patère était occupée par
un autre. Et même s’il restait d’autres patères pour y suspendre le mien, je n’avais
pas voulu le faire.
La salle de classe était rectangulaire. On
y entrait par le côté droit. Dans la pièce, afin que les enfants puissent y
laisser leurs crayons et leur papier, il y avait une multitude de rangées de
tiroirs, chacun orné des nom et prénom de l’élève. On nous donnait à chacun une
chemise en plastique qui portait également notre nom collé sur le coin gauche, en
haut. La chemise avait une fermeture Éclair de couleur sur le côté pour pouvoir
l’ouvrir et la fermer, et l’on nous disait de garder nos livres de lecture et
nos devoirs à l’intérieur. J’utilisais la mienne avec un soin méticuleux
– me souvenant toujours d’y ranger mes livres lorsque je les avais finis.
Mon bureau était dans le fond de la salle,
près de la fenêtre qui était pleine de papiers de couleur et de dessins, et je
pouvais regarder les autres enfants de la classe sans croiser le regard d’aucun.
Je ne me souviens ni du nom, ni du visage d’aucun des enfants de mes premières
années d’école. J’ai toujours eu le sentiment qu’ils étaient quelque chose dont
il fallait s’accommoder et se contenter, quelque chose au large de quoi il
fallait naviguer plutôt que des individus à connaître ou avec lesquels jouer.
Je croisais souvent mes mains sur ma
poitrine quand j’étais debout ou quand je traversais la classe. Parfois, les
poings serrés, je dépliais un ou plusieurs de mes doigts pour les dresser vers
le plafond. Un jour, alors que je levais le majeur, un garçon vint me dire que
je jurais : « Comment un doigt peut-il jurer ? »
demandai-je. Mais au lieu de répondre, le garçon appela la maîtresse qui me
gronda parce que j’étais grossier.
J’appréciais beaucoup les rassemblements
du matin [6] . Avant tout parce qu’ils étaient sans surprise et toujours à la
même heure. La maîtresse nous demandait de nous lever, de nous mettre en rang
par ordre alphabétique devant la porte, puis de rejoindre les autres classes
sous le préau. Ils étaient déjà tous là, assis en lignes impeccables et nous
passions en silence, pour aller nous placer derrière eux. La sensation forte d’ordre
et de routine me calmait. Les yeux clos, je me balançais doucement sur le sol
du préau en chantant bouche fermée, tout doucement pour moi-même – une
attitude que j’adoptais souvent quand j’étais détendu et satisfait.
Ce que je préférais, c’était quand on
chantait « He’s Got the Whole World in His Hands [7] »
et « Oats, Peas, Beans and Barley Grow [8] »
qui étaient parmi mes chants favoris. Je fermais les yeux et écoutais attentivement
les autres enfants qui chantaient ensemble, les notes se mêlant les unes aux
autres dans un flux rythmé, atone et rassurant. La musique m’apaise toujours et
me rend heureux. Le rassemblement du matin était le meilleur moment de ma
journée d’école.
Avec mon premier Noël à l’école, je fis l’expérience
de la traditionnelle crèche vivante. On me donna le rôle de l’un des bergers. J’étais
pétrifié à l’idée de monter sur scène devant toute l’école – les enfants,
les maîtres et les parents – et je devins très nerveux, refusant de faire
les essayages du costume ou d’en discuter avec la
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