Je suis né un jour bleu
toujours assis très près de l’écran et que je me mettais en colère
si elle essayait de me reculer un peu, pour me protéger les yeux. Même par
temps très chaud, je gardais toujours mon manteau après être rentré de l’école :
je le portais pendant que je regardais mes émissions, parfois plus longtemps encore.
Je pense que c’était comme une protection supplémentaire contre le monde extérieur,
comme un chevalier et son armure.
~
Pendant ce temps, la famille s’agrandissait.
Mes parents n’étaient pas du tout religieux, ils adoraient tout simplement les
enfants et avaient toujours voulu fonder une grande famille. Une sœur, Claire, était
née le mois où j’avais commencé l’école, suivie deux ans plus tard par mon
second frère, Steven. Peu de temps après, ma mère découvrit qu’elle était
encore enceinte, de son cinquième enfant, mon frère Paul, et nous dûmes déménager
dans une plus grande maison. Tout d’abord, je réagis peu à l’extension de cette
bande de frères et sœur, je continuai à m’amuser tout seul, assis dans la
quiétude de ma chambre pendant qu’ils criaient, jouaient et couraient dans l’escalier
et dans le jardin. Mais leur présence, finalement, eut une influence très
positive sur moi : elle me força à développer petit à petit des aptitudes
sociales. Avoir toujours des gens autour de moi m’aida à me faire au bruit et
au mouvement. En regardant silencieusement, depuis la fenêtre de ma chambre, mes
frères, ma sœur et leurs amis qui jouaient ensemble, je commençais également à
comprendre comment entrer en interaction avec d’autres enfants.
Nous déménageâmes au milieu de l’année
1987 pour Hedingham Road, au numéro 43. Les trois adresses de mon enfance
étaient des nombres premiers : 5, 43, 181. Mieux, nos voisins étaient des
nombres premiers eux aussi : 3 (et 7), 41, 179. De telles paires de
nombres premiers sont appelées « nombres premiers jumeaux » – des
nombres premiers qui ne diffèrent que de 2. Les nombres premiers jumeaux deviennent
d’autant plus rares que les nombres sont importants. Par exemple, trouver des
voisins dont le numéro de la porte soit premier et commence par 9, réclame une
très longue rue : la première paire est 9 011 et 9 013.
L’année de notre déménagement fut marquée
par un temps exceptionnellement rigoureux. Le mois de janvier connut les
températures les plus basses du Sud de l’Angleterre depuis un siècle. Elles
tombèrent à - 13°à certains endroits. Le froid apporta d’énormes chutes de
neige et des jours sans école. Dehors, les enfants se lançaient des boules de
neige et faisaient de la luge, mais je me contentais de rester assis à ma
fenêtre à regarder les flocons qui tombaient et voletaient depuis le ciel. Plus
tard, quand tout le monde était rentré, je m’aventurais dehors tout seul et je
faisais des colonnes de neige d’un peu plus d’un mètre de haut, toutes
identiques. Depuis ma fenêtre, je voyais qu’elles formaient un cercle – ma
figure préférée. Un voisin, qui vint à la maison, dit à mes parents : « Votre
fils a fait Stonehenge en neige [9] . »
1987 fut aussi l’année de la grande
tempête d’octobre, la plus grave du Sud-Est de l’Angleterre depuis 1703. Les
vents atteignirent cent cinquante kilomètres à l’heure à certains endroits. Dix-huit
personnes moururent. Cette nuit-là, je n’arrivai pas à trouver le sommeil. Mes
parents m’avaient récemment acheté un nouveau pyjama et le tissu me démangeait ;
je n’arrêtais pas de me retourner dans mon lit. Ayant entendu le bruit de
quelque chose qui se cassait, je me levai : les tuiles étaient arrachées
par le vent et tombaient dans la rue. Je grimpai sur l’appui de la fenêtre et
regardai dehors : tout était noir comme poix. Il faisait chaud, aussi, de
manière tout à fait inhabituelle à cette époque de l’ année,
mes mains étaient moites et collaient. J’entendis un grincement provenant de ma
chambre. La porte s’ouvrit et je vis entrer une lumière orange et tremblotante
au bout d’une longue bougie blanche. Je la fixai, puis une voix, celle de ma
mère, me demanda si j’allais bien. Je ne dis rien parce qu’elle tenait la
bougie devant elle et que je me demandais si elle était en train de me l’offrir
– comme la bougie rouge et brillante du gâteau qu’elle m’avait fait pour
mon dernier anniversaire – mais je n’en voulais pas parce que ce
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