Je suis né un jour bleu
objets
de fascination. J’adorais frotter la paume de mes mains contre leur écorce
grossière et ridée et je passais le bout de mes doigts le long de leurs
rainures. Les feuilles tombaient en traçant des spirales dans l’air, comme les
spirales que je voyais dans ma tête quand je faisais des divisions.
Mes parents n’aimaient pas que je sorte
seul. Aussi je collectais les marrons avec mon frère Lee. Je n’avais rien
contre, c’était une paire de mains supplémentaire. Je prenais chaque marron
entre mes doigts et je pressais sa forme lisse et ronde contre le fond de ma
paume (une habitude que j’ai gardée aujourd’hui – le toucher agit comme
un calmant, même si aujourd’hui j’utilise plutôt de la monnaie ou des billes). Je
remplissais mes poches de marrons, un par un, jusqu’à ce qu’elles soient
pleines et gonflées. C’était comme une compulsion, je devais collecter tous les
marrons que je pouvais trouver et les rassembler tous ensemble à un même
endroit. J’enlevais mes chaussures et mes chaussettes et les remplissais aussi
de marrons, marchant pieds nus jusqu’à la maison, avec mes mains, mes bras et
mes poches pleins jusqu’à déborder.
Une fois à la maison, je répandais les
marrons sur le sol de ma chambre, les comptais et les recomptais. Mon père
arrivait alors avec un sac-poubelle et m’aidait à les compter. Je passais des
heures tous les jours à ramasser les marrons et à les ramener dans ma chambre, remplissant
rapidement des sacs que je mettais dans un coin. Il arrivait que mes parents, de
peur que le poids des marrons collectés puisse endommager le plafond de la
pièce en dessous de la mienne, prennent les sacs et les entreposent dans le
jardin. Ils étaient indulgents avec mon obsession, m’autorisant à continuer de
ramasser et de collectionner les marrons, en revanche ils m’interdisaient de
jouer avec à la maison car ils ne voulaient pas que l’une de mes petites sœurs
en trouve un par terre et s’étouffe. À mesure que les mois passèrent, mon
obsession disparut, les marrons moisirent et mes parents les firent porter à la
décharge municipale.
Peu de temps après, je me mis à
collectionner des dépliants publicitaires, de toutes tailles. On les déposait
dans notre boîte aux lettres avec le journal local ou le quotidien du matin, et
j’étais fasciné par leur aspect brillant et leurs formes symétriques (je me moquais
de savoir de quoi l’on vantait les mérites, le texte n’avait aucun intérêt pour
moi). Mes parents se plaignirent bientôt des piles qui s’accumulaient, instables,
dans tous les tiroirs et sur toutes les étagères des placards de la maison, et
tout spécialement quand ils s’éparpillaient sur le sol en ouvrant la porte d’un
placard. Comme avec les marrons, ma manie des dépliants s’estompa progressivement
avec le temps, au grand soulagement de mes parents.
Quand j’étais sage, j’étais récompensé
avec de l’argent de poche. Par exemple, s’il y avait des dépliants par terre, on
me demandait de les ramasser et de les ranger dans un tiroir. En retour, mes
parents me donnaient un peu de petite monnaie, beaucoup de pièces, parce qu’ils
savaient combien j’aimais tout ce qui était circulaire. Je passais des heures à
empiler difficilement les pièces jusqu’à ce qu’elles ressemblent à des tours
tremblantes et brillantes de quelques dizaines de centimètres de haut. Ma mère
demandait toujours plein de petite monnaie dans les magasins de sorte que je
puisse toujours en avoir un stock pour mes tours. Parfois, je bâtissais
plusieurs piles de hauteur égale autour de moi, en forme de cercle au centre
duquel je m’asseyais, cerné de toutes parts, apaisé et rassuré.
~
Lorsque les Jeux Olympiques débutèrent à
Séoul en Corée du Sud, en septembre 1988, ce que j’en vis et ce que j’en entendis
à la télévision me fascina comme jamais auparavant. Avec 8 465
participants venus de 159 pays, c’étaient les plus grands Jeux Olympiques de l’histoire.
Je vis des choses extraordinaires : des nageurs repoussant l’eau écumante
et scintillante à chaque brasse, leur tête à lunettes s’enfonçant et se
relevant en rythme ; des sprinters aux jambes et aux bras musculeux, hâlés,
dont l’image se brouillait tant ils couraient vite ; des gymnastes
bondissants qui se déformaient en faisant des sauts périlleux. J’étais captivé
par la retransmission télévisée des Jeux Olympiques et j’en
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