Je suis né un jour bleu
pour le regarder de près se glisser sur et sous chaque petite
feuille et chaque branche, s’arrêtant, repartant et s’arrêtant encore à
différentes étapes de son voyage. Son petit dos était rouge et lumineux, et je
comptais et recomptais ses points, encore et encore. Il y avait des passants
dans la rue qui s’arrêtaient autour de moi, certains marmonnaient sous cape. Je
devais gêner leur passage, mais sur le moment, je ne pensais qu’à la coccinelle
devant moi. Avec précaution, je la fis grimper sur mes doigts, puis courus
jusqu’à la maison.
J’avais déjà vu des coccinelles en photo
dans les livres, mais je me mis à tout lire pour tout savoir sur elles. Par
exemple qu’elles étaient considérées comme porte-bonheur dans beaucoup de
cultures parce qu’elles dévoraient les insectes nuisibles (elles pouvaient
manger jusqu’à cinquante ou soixante pucerons par jour) et qu’elles aidaient à
protéger les récoltes. Au Moyen Âge, les fermiers considéraient leur aide comme
un cadeau de Dieu : c’est pour cette raison qu’ils les nommèrent « bêtes
à bon Dieu [10] ». Les points noirs sur leur dos absorbent l’énergie solaire
et leur couleur effraie les éventuels prédateurs qui associent, pour la plupart,
les couleurs vives au poison. Les coccinelles produisent aussi une substance
chimique qui a un goût et une odeur horribles, de sorte que les prédateurs les
laissent tranquilles.
J’étais très excité par ma trouvaille et
je voulus collectionner le plus grand nombre possible de coccinelles. Ma mère
vit le petit insecte dans ma main quand je revins à la maison : elle me
dit que ces petites bêtes étaient « collantes », que je devais dire « coccinelle,
coccinelle, rentre chez toi ». Mais je me gardai bien de le dire parce que
je ne voulais pas qu’elle rentre chez elle. Dans ma chambre, il y avait une
boîte en plastique, dans laquelle je gardais ma collection de pièces de monnaie.
Je la vidai, faisant un tas de mes pièces sur le sol. Puis je pris la coccinelle
pour la mettre à l’intérieur. Ensuite, je retournai dans la rue et passai plusieurs
heures, jusqu’à ce qu’il fasse nuit, à fouiller les haies à la recherche d’autres
coccinelles. Dès que j’en trouvais une, je la prenais doucement du bout des
doigts et je la mettais avec les autres, dans la boîte. J’avais lu que les
coccinelles aimaient les feuilles et les pucerons. Je leur donnais donc des
feuilles et quelques orties, que je trouvais près des haies, avec des pucerons
dessus.
Quand je rentrai à la maison, je montai
dans ma chambre et posai la boîte sur ma table de nuit. J’utilisai une aiguille
pour faire quelques trous afin que les coccinelles aient de l’air et de la
lumière dans leur nouvelle maison, et je mis enfin un livre sur la boîte pour
qu’elles ne s’envolent pas dans toute la maison. La semaine suivante, à la fin
de la journée, en rentrant de l’école, je ramassais toujours plus de feuilles
et de pucerons pour les coccinelles. J’humidifiais certaines des feuilles pour
que mes protégées n’aient pas soif.
En classe, je parlais tant de mes
coccinelles que mon instituteur, exaspéré, Mr. Thraves, me demande de les
apporter. Le jour suivant, je pris la boîte avec moi et montrai ma collection
de coccinelles à l’instituteur et à toute la classe. À ce moment-là, il y avait des centaines de coccinelles dans la
boîte. Il jeta un regard et me demanda de poser la boîte sur son bureau. Il me
donna un bout de papier plié en quatre et m’envoya dans la classe d’à côté le
remettre à l’instituteur. Je restai absent quelques minutes. À mon retour, la
boîte avait disparu. Mr. Thraves, qui redoutait que les coccinelles s’échappent
dans la classe, avait dit à l’un des enfants d’emporter la boîte dehors et de
relâcher toutes les coccinelles. Quand je me rendis compte de ce qui était
arrivé, je sentis que ma tête allait exploser. J’éclatai en sanglots et je m’enfuis
de la classe en courant jusqu’à la maison. Tout à fait désorienté, je n’adressai
plus la parole à l’instituteur pendant des semaines, cédant à la panique dès qu’il
disait mon nom.
À d’autres occasions, Mr Thraves pouvait
être exceptionnellement gentil avec moi. Si j’étais anxieux ou stressé, il m’emmenait
dans la salle de musique de l’école pour m’aider à me calmer. Il était musicien
et jouait souvent de la guitare pour les enfants pendant
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