Je suis né un jour bleu
regardais le plus
possible, installé dans le salon, quels que soient le sport ou l’épreuve.
L’instituteur demanda à la classe de
constituer un dossier sur les jeux de Séoul : c’était ma chance. Je passai
les semaines suivantes à découper dans les journaux et les magazines, puis
ensuite à coller, des centaines de photos d’athlètes et d’événements sur des
feuilles de carton de couleur, mon père m’aidant pour les ciseaux. J’organisais
le collage selon une logique exclusivement visuelle : les athlètes en
rouge sur une même page, les athlètes en jaune sur une autre, ceux en blanc sur
une troisième, et ainsi de suite. Sur des feuilles de papier quadrillé, plus
petites, je notai de ma plus belle écriture la longue liste des noms des pays
participants que je trouvai dans les journaux. Je fis aussi la liste de toutes
les différentes épreuves, y compris le taekwondo – le sport national
coréen – et le tennis de table qui était pour la première fois en
compétition officielle à Séoul. Je dressai également des listes de statistiques
et de scores : points gagnés, temps de course, records battus et médailles
remportées. À la fin, il y avait tellement de pages manuscrites et de collages
que mon père dut les attacher avec une ficelle. Sur la couverture, je dessinai
les anneaux olympiques bleu, jaune, noir, vert et rouge. Pour récompenser mes efforts
et le temps que j’y avais passé, l’instituteur me donna la note maximale.
Avoir lu tant de choses me poussa à en
apprendre plus sur les pays représentés aux Jeux Olympiques. Je me souviens d’avoir
emprunté à la bibliothèque un livre sur les différentes langues dans le monde. À
l’intérieur il y avait une description et des exemples de l’ancien alphabet
phénicien qui remonte à mille ans avant J.C. On pense qu’il est à l’origine de
plusieurs systèmes alphabétiques modernes, dont l’hébreu, l’arabe, le grec et
le cyrillique. Comme l’arabe et l’hébreu, le phénicien est un alphabet
consonantique : il ne symbolise pas les voyelles, qui se déduisent du
contexte. Fasciné par les lignes et les courbes des différentes lettres, je
commençai même à remplir des carnets de longues phrases et d’histoires
exclusivement en écriture phénicienne. Utilisant des morceaux de craie de
couleur, je recouvris l’intérieur des murs de notre remise de jardin de mes
mots favoris écrits en lettres phéniciennes. Par exemple, ci-dessous, mon
prénom, Daniel, en phénicien :
L’année suivante, quand j’eus 10 ans, un
vieux voisin mourut et une jeune famille vint s’installer à sa place. Un jour, ma
mère ouvrit la porte à une petite fille aux cheveux blonds qui lui dit qu’elle
avait vu jouer, dans le jardin, une petite fille de la maison (il s’agissait de
ma sœur Claire). Elle demanda si elle pouvait venir s’amuser avec elle. Ma mère
nous la présenta, à ma sœur et à moi – elle pensait que ce pouvait être
une bonne occasion pour moi de me mêler aux enfants du voisinage –, et
nous sortîmes nous installer sur le perron de sa maison. Ma sœur et la petite
fille devinrent bientôt de bonnes amies et jouèrent ensemble souvent dans son
jardin. Son nom était Heidi et elle avait 6 ou 7 ans. Sa mère était finlandaise,
mais son père étant originaire d’Écosse, Heidi avait été élevée en anglais et
ne faisait que commencer à apprendre ses premiers mots de finnois.
Heidi avait plusieurs livres pour enfants
avec des dessins colorés et brillants et des mots finnois qui correspondaient à
l’objet représenté. Sous le dessin d’une pomme rouge et brillante, il y avait omena , et sous une chaussure, kenkä. Parfois les mots finnois que je
lisais ou que j’entendais me semblaient beaux. Pendant que ma sœur et Heidi
jouaient ensemble, je m’asseyais et m’absorbais dans les livres, pour en apprendre
chaque mot. Bien qu’ils soient différents des mots anglais, j’étais capable de
les apprendre très rapidement et de les retenir facilement. Dès que je quittais
le jardin de Heidi, je me retournais toujours pour lui dire Hei, hei ! –
le mot finnois pour « au revoir ».
Cet été-là, on me permit pour la première
fois de faire le trajet de l’école tout seul. De longues rangées de haies
bordaient la route, et un soir, en rentrant à la maison, je remarquai un petit
insecte rouge couvert de points noirs, qui rampait. Je fus fasciné, et je m’assis
sur le trottoir
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