Jean sans peur
des herbes, si vous cherchez l’amour ou la mort, si vous voulez guérir, si vous voulez donner la mauvaise fièvre à un ennemi, si vous cherchez un charme, enfin si vous avez besoin de n’importe quel sortilège, passez votre chemin. Ici, ce n’est plus la maison du sorcier.
– Oh ! Oh ! dit l’homme tout désappointé. Et que vais-je devenir, moi ?… Et que vous est-il arrivé, messire ? Vous êtes, sur ma parole, pâle comme un revenant de l’autre monde. Je ne reconnais ni vos yeux, ni votre voix. Est-ce que Satan vous abandonne ?
Saïtano jeta sur cet homme un étrange regard. Et il sourit.
– Tu l’as dit ! Satan n’est plus avec moi. Je pars, donc. D’ici huit jours, j’aurai quitté Paris. Ainsi, capitaine, reprit-il en s’adressant à Tanneguy, ne comptez pas sur ma pauvre science… Ma science est morte, et c’est miracle que moi-même je sois encore vivant.
– Sorcier, dit Tanneguy, je ne viens pas pour moi… je viens pour celui à qui vous avez remis la dot de Roselys.
L’attitude de Saïtano se modifia au même instant. Il s’avança rapidement sur Tanneguy.
– Passavant ? demanda-t-il avec un intérêt soudain surexcité.
– Lui-même. Il a confiance en vous. Il me l’a dit.
– Oui. Et que veut-il ? Parlez vite !
– C’est moi qui veux, et non lui. Passavant a été saisi dans mon logis même, en état de rébellion. De plus il est accusé du meurtre du duc d’Orléans. Son affaire est donc claire, si je ne trouve le moyen de le tirer des griffes de Jean sans Peur. Et Bourgogne, vous le savez peut-être, est un chien qui ne lâche pas facilement l’os qu’il ronge. Il faudra user de force et de ruse à la fois. Pour commencer, apprenez que mon jeune ami a été conduit à l’Hôtel Saint-Pol…
Saïtano écoutait avec une profonde attention. Tanneguy remarqua que les mains du sorcier tremblaient légèrement. De toute évidence, la nouvelle était importante pour lui.
– Cet homme, ajouta le capitaine, m’a assuré que seul vous pourriez me faire entrer dans l’Hôtel Saint-Pol. Est-ce vrai ? Parlez vite à votre tour.
– Il a dit vrai, fit Saïtano qui puisa dans son escarcelle et tendit au guide quelques pièces d’or. Tu as bien fait de m’amener le digne capitaine. Tiens, mon ami, voici ta récompense.
– Eh ! cria Tanneguy, j’ai déjà payé le drôle !
– C’est égal, dit l’homme en prenant, c’est égal… merci, maître.
– Qu’importe un peu d’or ? dit Saïtano. Tu as bien fait, mon ami. Maintenant, va-t’en ; laisse-moi avec ce seigneur.
L’homme salua en ricanant et se faufila dans la rue. Saïtano referma la porte et revint vers le capitaine.
– Ainsi, dit-il, le chevalier de Passavant est arrêté.
– Oui. Et on l’a conduit dans l’Hôtel Saint-Pol. Pouvez-vous réellement me faire entrer dans la forteresse ?
Saïtano, sans répondre, se mit à se promener lentement. Le capitaine le considérait, étonné, et commençait à maugréer quelques jurons contre l’insolence des sorciers…
– Voici exactement la situation, dit tout à coup Saïtano. Le chevalier de Passavant est à l’Hôtel Saint-Pol en danger de mort. Vous voulez le sauver, pour l’amitié que vous lui portez. Et moi, je veux le sauver pour la haine que je porte au duc de Bourgogne.
– Eh bien, dit Tanneguy, unissons cette haine et cette amitié. À nous deux, nous pourrons délivrer mon jeune ami – moi, avec la force de mon bras, vous, avec la force des démons.
Saïtano secoua la tête.
– Je puis, dit-il, vous introduire dans l’Hôtel Saint-Pol, mais qu’y ferez-vous ?
– Ce que je ferai, mort-dieu ! Je délivrerai Passavant…
– Je sais bien… Mais comment ?
– Comment !… fit Tanneguy interloqué. Mort du diable, je mettrai le feu, je tuerai, je…
– Oui… Mettrez-vous le feu aux quinze ou vingt bâtiments divers dont se compose l’Hôtel Saint-Pol ? Parviendrez-vous seulement à savoir où est enfermé votre ami ? Chacun des sept palais de l’enceinte a ses cachots, sans compter ceux de la tour Huidelonne. Et quand vous le saurez, tenterez-vous de corrompre des geôliers incorruptibles parce que leur peur de la potence et de l’enfer est plus forte que leur avarice ? Essayerez-vous de tuer à vous seul les gardes qu’on a placés autour du prisonnier, et cela sans donner l’alarme ?
Tanneguy du Chatel écoutait avec effarement. Il s’essuya le front et
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