Jean sans peur
Il est le maître. Ses bandes vont se déchaîner…
– Dans ; le carnage ! Dans le sang ! râla Laurence.
– Oui ! dit Saïtano étonné à son tour. Ceci, maintenant : Jean sans Peur a une complice…
– Isabeau ! cria Laurence, secouée de frissons. La reine Isabeau !
– Vous l’avez dit ! Ceci, maintenant : votre fille Roselys habite l’Hôtel Saint-Pol. Comment ? Pourquoi ? Plus tard vous le saurez. Elle est là, voilà tout. Isabeau la hait. Comprenez-vous ? Pour donner la couronne à Jean de Bourgogne, sa première condition est que Roselys soit sacrifiée.
– Courons ! hurla Laurence.
Saïtano la saisit par un poignet et la maintint.
– Que ferez-vous ? Atteindrez-vous Jean de Bourgogne au milieu de ses gens d’armes ? La dague dont vous le frapperiez traverserait-elle sa cuirasse ?…
– Maudits ! râla Laurence épuisée. Qu’ils soient maudits tous deux !… Venez… Si ma fille meurt, j’aurai du moins la consolation de mourir avec elle…
– Vous pouvez la sauver, vous sauver… avec ceci ! Lisez !…
Et cette fois, Laurence prit le parchemin. Ses yeux embués de larmes, lentement, déchiffrèrent l’écriture. Et alors, un long moment, elle demeura figée, morne, insensible, avec seulement le tremblement de ce parchemin au bout de ses doigts. Saïtano, avec une sorte de gravité, reprit :
– Jean sans Peur brûla les actes de mariage dans l’oratoire du logis Passavant, mais celui-ci lui échappa. Lorsque je vous trouvai, sanglante, je vous soulevai dans mes bras, et je vis ce parchemin que cachait un pli de votre robe. Voici donc l’acte de mariage qui vous unit à Jean de Bourgogne. Il est en règle. Il porte la signature du prêtre, la signature de l’époux et la vôtre, la signature des témoins… la signature de la reine ! Comprenez-vous qu’avec ce parchemin vous pouvez tuer Jean de Bourgogne ? L’époux de Marguerite de Hainaut, en signant cet acte, a commis un sacrilège qui est puni du même châtiment que le parricide ou le régicide. Êtes-vous prête ?
Laurence, avec une sorte de calme tragique, plia le parchemin et le mit dans son sein. Elle ne prononça pas un mot. Mais Saïtano vit qu’elle était prête.
– Venez, dit-il, venez sauver votre fille !
Aussitôt ils se mirent en route et gagnèrent l’Hôtel Saint-Pol. Le sorcier contourna les murs jusqu’à une poterne située en arrière de la Huidelonne. Là, il jeta un appel.
Une minute plus tard, ils étaient dans l’Hôtel Saint-Pol et à peu près par le même chemin qu’avaient suivi Passavant et le geôlier, ils s’approchèrent du palais du roi. Saïtano en connaissait les tours et détours, portes secrètes, passages réservés au roi. Il prit Laurence par la main et, rapidement, par des couloirs que peu de personnes connaissaient, la conduisit vers l’appartement d’Odette de Champdivers.
Dans la salle d’honneur.
À l’un des angles, une chose inouïe, impossible, et pourtant réelle : la reine de France prisonnière du geôlier de la Huidelonne ! Le premier personnage du royaume avant même le roi, la souveraine maîtresse de l’Hôtel Saint-Pol, l’idole à qui tout obéit, est tenue à l’épaule par la poigne de cet être si bas placé dans la hiérarchie sociale, si loin de ce qui compose alors la société, que c’est à peine s’il existe pour la reine. Il existe ! Et la reine, pâle comme une morte, sent sur son épaule l’étreinte furieuse de l’homme qui, tranquillement, lui dit avec respect :
– Ne bougez pas, ou je serai forcé de vous tuer…
Vers le milieu de la salle, trois hommes figés dans leur attitude de stupeur, qui regardent, écoutent, et n’arrivent pas à comprendre ce qu’ils voient, ce qu’ils entendent : Bruscaille, Bragaille et Brancaillon qui viennent d’entrer en tempête, et se sont arrêtés court devant l’étonnante vision.
À l’autre extrémité, Jean sans Peur et Passavant, face à face, pétrifiés tous deux par ce cri qu’Odette vient de jeter du fond de son agonie :
– Passavant, ne tue pas mon père !…
Le chevalier éprouva comme un bouleversement de son être. Le cri d’Odette le frappa jusqu’à l’âme. Il eut un regard pour Jean sans Peur… pour le père d’Odette !… et ses yeux se troublèrent ; il jeta son épée, d’un geste qui clairement voulait dire : « Tuez-moi ! Je ne frapperai pas le père de celle que j’aime. »
Lentement, doucement, il
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