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Jean sans peur

Jean sans peur

Titel: Jean sans peur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Zévaco
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avec assurance et vérité. Il faut que je retrouve Jehanne de la rue Trop-va-qui-dure. Vous l’avez longtemps connue…
    – Jamais ! dit Laurence avec force. Je le jure. Je n’ai jamais connu celle dont vous parlez.
    Ermine poussa un cri de terreur folle et se laissa glisser à genoux, les yeux ardemment fixés sur une de ces pauvres images de la Vierge, telles que les enlumineurs populaires, aussi nombreux que nos imprimeurs, en vendaient alors pour des prix pourtant assez élevés.
    – Ah ! gronda Saïtano ivre de joie, tu peux crier, maintenant !
    C’était la joie du savant. Une minute, le sorcier demeura haletant, s’essuyant le front, et contemplant avec orgueil cette créature dont il avait pétri la conscience à son gré.
    – Conscience humaine ! cria-t-il en lui-même. Génie, folie, grandeur d’âme, pauvreté d’esprit, pensée de crime ou de beauté, aspirations de cette larve qui rampe dans l’inconnu, tentatives dérisoires vers le bien ou vers le mal, vous n’êtes qu’une question de quantité. Le calcul des éléments qui composent un cerveau peut fixer avec certitude ce qui jaillira de là : pensée de lumière ou de ténèbre. Moi-même, savant qui crois savoir, sorcier triomphant, si tel lobe de mon cerveau s’était trouvé plus ample ou plus étroit d’une imperceptible fraction, je serais idiot. Haine, amour, affections, répulsions, vous n’êtes que des spasmodiques convulsions du ver cherchant inutilement parmi l’immensité des fanges un but qui n’existe pas…
    Ermine priait à haute voix.
    – Tais-toi, lui dit doucement le sorcier. Tu me gênes…
    Laurence ne priait pas, ne criait pas. Elle considérait toutes choses autour d’elle avec une sorte de stupeur. Jehanne n’existait plus en elle… Saïtano la prit par une main et murmura :
    – Savez-vous maintenant votre nom ?
    Elle se prit à pleurer des larmes qui furent de plus en plus amères, et elle dit :
    – Mon nom est malheur. Pourquoi m’avez-vous éveillée ? Sachant que je suis Laurence d’Ambrun, je sais aussi que ma fille est morte, et que ma vie est une morne plaine de désolation.
    Elle sanglotait. Il lui semblait que tout était à recommencer dans son malheur, et que l’apaisement des ans n’existait plus pour elle. Et elle pleurait :
    – Ma fille, ma petite Roselys, vous le savez qu’elle est morte… Pourquoi me…
    Elle se tut. Et Saïtano, attentif, repris tout entier par la passion de son œuvre :
    – Vous l’aimez donc bien, votre petite Roselys ?…
    Laurence eut un cri déchirant – le cri même qu’elle eût pu avoir si, en cet instant même, Roselys fût morte sous ses yeux. C’était le chef-d’œuvre de Saïtano. Laurence aimait sa fille exactement comme douze ans auparavant.
    Les longues années écoulées, pour Laurence comme pour tout être humain, devaient avoir effacé l’impression de douleur. Mais pour Laurence, en ce moment, cette impression était vivante, contemporaine de la mort de Roselys. Alors, le sorcier porta le dernier coup :
    – Laurence, on vous a trompée. Roselys n’est pas morte. Roselys vous appelle. Elle est en danger.
    – En danger ? Ma fille ? cria Laurence, oubliant que l’instant d’avant Roselys était morte.
    – En danger, répéta fortement le sorcier. Voulez-vous la sauver ?
    – Courons ! haleta Laurence.
    – Un instant. Pour sauver Roselys, il faut frapper votre amant. Hésiterez-vous ?
    – Donnez-moi une arme ! dit Laurence, d’un accent farouche.
    – La voici ! dit le sorcier.
    Laurence recula, étonnée. Elle frémissait. Elle voulait s’élancer, courir au secours de sa fille. Elle haïssait ce sorcier qui ne la conduisait pas à l’instant à Roselys. Elle lui demandait une arme pour sauver sa fille, et le maudit lui tendait un parchemin !…
    – Ceci ? bégaya-t-elle. Qu’est-ce ? Un chiffon de papier ! Pour frapper Jean de Bourgogne ! Prenez garde, enfin ! Vous ne savez pas de quoi est capable une mère exaspérée !
    – Je le sais ! dit Saïtano. Et c’est pourquoi j’ai confiance en vous. Écoutez, écoutez de toute votre force, de tout votre être, car les minutes sont comptées, et je n’ai pas le temps. Aujourd’hui, votre amant est le maître dans Paris et dans l’Hôtel Saint-Pol…
    – Son rêve ! Son ancien rêve ! bégaya Laurence.
    – Ah ! Vous êtes « vous » tout entière, puisque vous vous rappelez ceci ! Son rêve, oui ! Son rêve se réalise.

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