Jean sans peur
s’approcha de Laurence et résolument la saisit par un bras.
– Que voulez-vous ? gronda Laurence. Prenez garde ? Laissez-moi veiller ma fille…
– Assez ! dit le savant d’un accent de suprême autorité. Voulez-vous qu’elle meure ? Voulez-vous qu’elle soit vivante ? Choisissez ! Si vous la voulez morte, je m’en vais. Si vous la voulez vivante, laissez-moi libre d’agir…
– Vivante ! râla Laurence. Vous demandez si je veux ma fille vivante !…
Elle se recula de deux pas, et s’agenouilla devant le sorcier, les mains jointes, comme dans son enfance elle s’agenouillait devant le Christ en croix. Et alors, alors seulement, les larmes jaillirent de ses yeux. Alors, elle eut des cris farouches et des supplications ardentes. Elle se prosterna. Elle criait :
– Qui êtes-vous ? Vous avez été le démon pour moi ! Soyez Dieu pour ma fille ! Pour le mal que vous m’avez fait, je vous bénirai ! Pour chaque minute de souffrance endurée près de vous pendant des ans et des ans, je vous adorerai ! Sauvez Roselys, sauvez ma fille, et tuez-moi ! ou faites de moi votre servante, votre très humble servante, qui passera le reste de sa vie à vous bénir…
– Debout ! gronda Saïtano. Il faut me laisser faire. Je puis sauver cette enfant. Je le veux. Mais prenez garde ! Il est temps. Il vous faut du courage.
– Que faut-il faire ? Dites ! Parlez ! Je suis prête à tout ! cria Laurence debout, obéissante, palpitante.
– Vous en aller, dit Saïtano. Votre amie est ici qui m’aidera.
– M’en aller ! rugit la mère. Êtes-vous fou ?
– Vous en aller ! répéta Saïtano avec force. Écoutez… avez-vous la force de m’écouter ? Êtes-vous en état de raison ?
Laurence d’Ambrun se raidit contre la douleur. Elle détourna ses yeux de Roselys. Elle tâcha d’obtenir de ses nerfs tendus à se briser que, pour quelques secondes, ils la laissassent en paix. Enfin, elle s’imposa le rude effort qu’il fallait pour écouter, et elle dit :
– Ma raison ? Ma pauvre raison ? Elle est si fluide, si ténue que je la sens m’échapper. Mais parlez. Je vous écoute. Soyez certain toutefois que vous ne me persuaderez pas que pour sauver ma fille, il me faille la quitter.
– Je vous félicite, dit gravement Saïtano. Vous êtes une vaillante, une intrépide lutteuse contre les pires forces ennemies de l’être humain, c’est-à-dire celles qu’il porte en lui-même. Maintenant, regardez. Voici votre amie. Avez-vous confiance en elle ?…
Ermine Valencienne s’avança, les yeux pleins de larmes, et murmura :
– Je donnerais ma vie pour vous éviter l’affreuse douleur où je vous vois…
– Pauvre enfant ! murmura Laurence. Noble cœur si pur, si chaste, fille à ceinture d’argent, plus chaste peut-être que je ne fus, moi !… oui, j’ai en vous la confiance que j’aurais en une sœur chérie…
– Tout va bien ! s’écria Saïtano avec une sorte de jovialité. Vous admettez donc que votre amie peut vous remplacer quelques heures au chevet de votre fille ?… Ceci maintenant : Roselys n’est pas morte. Je réponds de sa vie. Elle guérira de cette blessure.
Laurence tremblait convulsivement. Elle dévorait le sorcier du regard. Il lui apparaissait comme un être fabuleux et tout-puissant. Et Saïtano continuait :
– Ce n’est pas « maintenant » que votre fille est en danger de mort. C’est lorsque vous la verrez guérie, bien vivante, c’est alors seulement qu’elle échappera à votre amour maternel pour entrer lentement dans la mort.
– Que dites-vous ? bégaya Laurence.
– Je dis que Roselys guérie, Roselys vivante vous demandera celui qu’elle aime !…
– Celui qu’elle aime !… Roselys aime un homme ?…
– Elle aime celui qu’elle a aimé dans son enfance, le compagnon de toute savie ; absent ou présent, elle aime celui qui, jadis, la sauva de la Seine, et qui plus tard la sauva d’Isabeau…
– Hardy ! Hardy de Passavant ! cria Laurence en joignant les mains.
– Oui ! Et lorsqu’elle vous demandera celui qu’elle aime, lorsque vous serez forcée de lui dire que Passavant est mort, alors, vous verrez Roselys mourir peu à peu dans vos bras sans que vos baisers puissent la réchauffer.
De nouveau, Laurence dut faire le violent et sublime effort pour écarter de son cerveau les oiseaux de folie, pour ramasser tout son pouvoir de raison, demeurer calme, capable de pensée et
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