Jean sans peur
recevait les messages et les commentait d’un mot rapide. Il était pâle de fureur. Sous ses gantelets, ses mains tremblaient légèrement. Parfois, un rauque soupir soulevait sa poitrine.
Autour de lui, les seigneurs, debout, tout harnachés, pareils à des statues, se tenaient immobiles ; derrière chacun d’eux, un valet d’armes portait le casque dont il allait le coiffer.
C’était une imposante et terrible assemblée.
Toute la haute noblesse du royaume était là, frémissante de colère : les noms les plus illustres, les hommes les plus braves, les chefs les plus redoutés.
Il y avait le comte de Namur, impétueux, bouillant, qui se rongeait les poings et mâchait de furieux jurons ; il y avait le sire de Coucy, formidable silhouette féodale ; il y avait le seigneur d’Albret et le duc de Bar, plus froids, livides de rage, silencieux et sombres ; il y avait le comte d’Alençon qui frappait du pied et jurait sourdement d’arracher le cœur de Jean sans Peur pour le faire manger par ses chiens ; il y avait le seigneur de la Trémoille qui souriait d’un hautain sourire ; Hélion de Lignac, Colin de Puisieux, Raoul de Brisac, et d’autres hauts barons, rudes figures balafrées d’entailles, statues de puissance, regards d’orgueil et de fureur…
Vers midi, une dernière estafette entra et parla à l’oreille du comte d’Armagnac. Il tressaillit violemment, un tremblement convulsif l’agita. Puis, par un effort de volonté, il se calma.
– Messieurs, dit froidement le comte d’Armagnac, le conseil est ouvert. Que chacun parle à son tour.
– Par la mort du Christ ! hurla le comte de Namur, il n’est besoin ni de paroles ni de conseils. Montons à cheval et marchons sur les Bourguignons !
Une acclamation accueillit ces paroles. Armagnac leva la main. Il eut un sourire livide.
– Noble seigneur de Namur, dit-il, et vous tous, ce serait, par Notre-Dame, trop facile, et trop agréable aussi : marcher au Bourguignon, tuer ou l’être, lui faire payer en tout cas sa victoire le plus cher possible, oui, seigneurs, ce serait plaisant à faire. Malheureusement, c’est difficile, et je dois vous rappeler avec exactitude la situation où nous sommes… Jusqu’à ce matin, nous avons ignoré le complot de Jean sans Peur. Quand je vous ai mandés ici, quand vous avez tous été assemblés, il était trop tard pour nous défendre. Les principales rues, les principales forteresses de Paris sont occupées. Déjà, il y a deux heures, quand vous êtes venus, il ne nous restait plus que la ressource de mourir avec gloire.
– Mais, observa le duc de Bar, nous avons décidé tout à l’heure de nous rendre à l’Hôtel Saint-Pol, de nous y retrancher avec la dame d’Orléans et d’y soutenir le siège. La forteresse royale peut tenir un an, pendant lequel toute la seigneurie de France se lèvera pour nous. Au pis-aller, nous aurons la gloire suprême de mourir en défendant le trône. Il y a un roi, messieurs. Allons défendre le roi !
Armagnac se leva. Il était effrayant à voir. Un frémissement parcourut l’assemblée, qui comprit que quelque chose de terrible allait se dire :
– Messieurs, dit Armagnac, le roi est mort.
Le silence de stupeur, de rage et peut-être d’effroi qui s’abattit sur ces braves et rudes hommes de guerre fut sinistre. Armagnac, de sa voix glaciale, continua :
– Le roi Charles, messieurs, vient d’être assassiné, égorgé dans son palais, il y a une demi-heure à peine. Dieu ait son âme !
Et tous ces hommes, oubliant qu’il était question pour eux de vie ou de mort, s’inclinèrent en murmurant avec une profonde ferveur :
– Dieu ait pitié de l’âme de Charles sixième…
Puis ils se redressèrent et se regardèrent, effarés. La nouvelle était effroyable, car elle présageait le triomphe absolu de Jean sans Peur.
– Seigneur, reprit le comte d’Armagnac, vous voyez que nous ne pouvons nous réfugier à l’Hôtel Saint-Pol. Nous n’avons pas le droit non plus de nous faire tuer dans les rues de Paris, car nous avons juré de rendre la dame d’Orléans saine et sauve en ses domaines, où elle veut se retirer. Voici donc ce qu’il faut faire. Nous ferons monter la noble veuve de notre malheureux ami dans une litière, et nous marcherons sur la porte Saint-Antoine, sans nous inquiéter de ceux de nous qui tomberont en route… Les survivants escorteront M me Valentine jusqu’en son domaine…
Les Armagnacs se
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