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Jean sans peur

Jean sans peur

Titel: Jean sans peur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Zévaco
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cartes dans un décor de choses brisées, évocateur de quelque bataille. Jacquemin avait voulu fuir. Mais le roi lui avait ordonné de s’asseoir sur le tapis, devant lui, et le peintre enlumineur avait obéi en soupirant : « Je suis mort ! »
    De minute en minute, la volonté de fuir le pressait… « Si toutefois j’en ai encore la force », se disait-il. Et au fond de lui, une voix lui criait : « Reste, Gringonneur, reste avec ce pauvre sire que ses courtisans ont abandonné dans la male heure. Donne au monde cet exemple de fidélité. Sois plus brave que ta poltronnerie. Dompte les frissons de la carcasse. Et si ton roi, ton ami qui t’a enrichi, qui t’a fait une heureuse existence, qui n’a plus que toi au monde, si ton ami meurt, eh bien, meurs avec lui, près de lui. Charles t’a donné les lettres patentes qui te permettent de porter l’épée. Eh bien, pour une fois, la première et la dernière, sans doute, tu te serviras de cette épée !… »
    C’est dans ces dispositions d’esprit que Brancaillon trouva Gringonneur.
    – Ho ! fit Jacquemin, voici du renfort ; déjà, je me sens plus brave.
    – Tiens ! dit tranquillement le roi, voici mon brave ermite. Mais… mais ne t’ai-je donc pas tué, quand, t’ayant saisi par les pieds, je te fis tournoyer ? Eh bien, je suis content de te voir vivant.
    – Sire, dit Brancaillon, j’ai soif !
    – Moi aussi ! ajouta Gringonneur émerveillé. Je me demandais aussi ce qui me tourmentait. C’était la soif !
    Le roi se leva, passa dans sa chambre de réfection, revint les bras chargés de flacons, et reprit sa place en disant :
    – Buvons et jouons.
    C’était le roi de France ! Dans l’Hôtel Saint-Pol, dans son palais, dans Paris, le grand complot éclatait, la trahison se déchaînait, et l’esprit de carnage battait des ailes…
    Gringonneur et Brancaillon étanchèrent leur soif, tandis que le fou, avec une fébrile activité, battait les cartes et murmurait des choses incompréhensibles. Ses pommettes étaient pourpres. Ses yeux flamboyaient. Et pourtant, la crise de démence commençait à s’apaiser sans doute, car parfois il laissait tomber les cartes, passait sa main grêle et jaune sur son front en feu, et une vague lueur s’allumait dans ses yeux.
    Gringonneur ne s’enquit pas de savoir comment Brancaillon avait été blessé : le brave peintre redoutait d’apprendre d’une façon précise que le massacre était commencé. Mais de ses mains tremblantes il parvint à panser le géant qui, d’ailleurs, dès le troisième flacon, commença à se trouver plus solide.
    – Jouons ! Jouons, reprenait fébrilement le roi fou.
    Et alors Brancaillon :
    – Sire, sur le coup de 4 heures, il va se jouer un jeu étrange dans la grande chapelle…
    Gringonneur leva la tête et regarda fixement Brancaillon.
    – Voici, dit le colosse avec sa formidable sérénité, voici ce que j’ai entendu… Écoutez, sire roi, écoutez, je crois que l’heure de bien jouer va venir… et l’heure de rire !
    *
    * *
    Sur la place de Grève, une immense clameur salua l’arrivée du condamné. Les archers s’avançaient péniblement à travers l’énorme foule. Les huit sergents à verge qui marchaient en tête hurlaient : « Place ! Place à la justice royale ! »
    – Voici le condamné ! Le meurtrier du sire d’Orléans ! criaient des bourgeois.
    Mais d’autres en plus grand nombre murmuraient :
    – Le condamné, oui, mais le meurtrier… qui le connaît ?
    Ce sentiment que le condamné qui marchait à l’échafaud n’était pas le vrai meurtrier du duc d’Orléans était presque unanime dans la foule. Mais nul ne songeait d’ailleurs à s’indigner. La véritable pensée de tout ce peuple était qu’il voulait voir l’exécution.
    Passavant marchait au milieu des gardes. Il n’était pas lié. En sortant de l’Hôtel Saint-Pol, l’archer qui se trouvait près de lui avait voulu le tenir par le bras. Passavant lui avait dit :
    – Mon ami, je n’ai guère la possibilité de me sauver. Vous ne pouvez donc craindre aucune tentative. Je marcherai de bonne volonté. Mais si vous m’en croyez, si vous tenez à assister à mon supplice, je vous engage à ne pas me toucher.
    Il paraît que ceci fut dit d’un ton si bizarre, et l’archer vit une telle résolution dans les yeux du condamné, qu’il le lâcha tout aussitôt.
    On arriva sur la place de Grève.
    Passavant, du premier coup d’œil,

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