Jeanne d'Arc Vérités et légendes
faite auprès du duc de Bourgogne pour lui demander de bien la
traiter ; autrement, il ferait même traitement aux prisonniers [anglais]
qu’il avait. » En 1431, « Messire le Dauphin roi de France ressentit
une amère douleur de sa mort, promettant d’en tirer vengeance des hommes et
femmes d’Angleterre ». La lettre de l’université de Paris du mois de
juillet 1430 à Jean de Luxembourg dénonce d’ailleurs les « mauvaises
personnes, ennemies ou adversaires, qui mettent toute leur aise à vouloir
délivrer cette femme ». D’autres « entreprises secrètes » à
partir de Louviers, la forteresse royale la plus proche de Rouen, nous sont
connues par une lettre royale du début de mars 1431. Le roi alloue 1 200
livres à La Hire, Poton, Dunois, tous des anciens compagnons de Jeanne. Ces
opérations n’aboutirent à rien mais la Pucelle semble en avoir eu connaissance.
Toujours est-il que la responsabilité de Charles VII
dans la mort de Jeanne devint l’un des thèmes favoris des historiens à partir
de la fin du XVIII e siècle, les monarchistes plaidant pour
l’innocence du roi et les républicains contre. Les Réflexions historiques et
critiques sur la conduite qu’a tenue Charles VII à l’égard de Jeanne
d’Arc du royaliste Laverdy puis les Réponses à celles-ci du républicain
Breillat de Saint-Prix déclinent ainsi les quatre thèmes qui vont faire
polémique durant tout le XIX e :
Le roi aurait dû la racheter, même si bien évidemment la
rançon aurait été élevée. Il avait tout le temps pour le faire avant qu’elle
soit livrée aux Bourguignons. Il lui suffisait de trouver 10 000
livres – quand même…
Il aurait pu effectuer un échange puisque Talbot, auquel les
Anglais tenaient, était son prisonnier.
Par ailleurs, il aurait pu exercer des représailles sur les
prisonniers anglais, mais « la naturelle humanité des Français s’y
oppose ».
Enfin, pouvait-il ou non, sans que nul ne s’en aperçoive,
tenter un coup de main contre la ville de Rouen où Jeanne était enfermée ?
Les pro-Charles VII répondent que le roi manquait
d’argent ou d’armée. « Le crime de Charles VII, c’est l’impuissance
politique » pour Dufresne de Beaucourt. « Il en fut moult dolent mais
remédier n’y put », lit-on aussi.
Tout le XIX e siècle s’enflamma pour le sujet. La
fille du peuple avait-elle été trahie par le roi et les nobles, et brûlée par
les prêtres ? À la limite, ce n’était plus un problème historique, mais
politique et religieux. Michelet doutait : « Charles VII
agissait-il pour la sauver ? en rien, ce me semble. » Un peu plus
tard, Henri Martin dénonçait la « plus monstrueuse ingratitude de
l’Histoire » et produisait une lettre accablante de l’archevêque de Reims
qui, pas vraiment désolé de la capture de la Pucelle, envisageait immédiatement
de la remplacer. Le prince fut ingrat, nonchalant ; plongé dans la
débauche (bien plus tard en fait), il oublia sa libératrice. Il l’abandonna
plus qu’il ne la trahit.
Aujourd’hui, où ce n’est plus un sujet sensible, les
historiens admettent en général que le roi ne se donna pas grand mal pour elle.
Peut-être son charisme lui faisait-il de l’ombre, à lui, l’autre élu de
Dieu ? Il voulait de toute façon changer de politique, négocier avec la
Bourgogne, ce à quoi Jeanne s’opposait. Qu’elle soit mise hors jeu
temporairement ne le gênait donc pas. Il est très probable aussi qu’il a cru
avoir du temps pour négocier une rançon. Le duc d’Orléans était prisonnier
depuis 1415, on négociait toujours, et il fut finalement libéré en 1440.
D’ailleurs, la mécanique implacable déclenchée par l’université de Paris en
décidant de juger Jeanne pour hérésie était-elle prévisible ? Une fois
mise en route, nul, même le roi, ne pouvait l’arrêter : qui aidait un
hérétique était lui-même considéré comme tel.
La trahison était partout au Moyen Âge. Guillaume de Flavy,
les capitaines, Georges de La Trémoille ou Renaud de Chartres, le roi lui-même
pouvaient avoir trahi Jeanne.
Mais, en ce monde chrétien, un péché aussi contraire à
l’amour qui devait régner entre les hommes, tous frères en principe, ne pouvait
rester impuni. Dieu en tirerait les conséquences en ce monde, sinon dans
l’autre. Qu’allait-il arriver à tous ces traîtres potentiels auxquels on
pouvait ajouter, pour faire bonne mesure, tous les juges de
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