Jeanne d'Arc Vérités et légendes
son château de Nesles, égorgé par l’un de ses
serviteurs puis étouffé sous un oreiller tenu par sa femme, Blanche. Ceux-ci se
réfugient ensuite chez l’amant, Pierre de Louvain. S’ensuit un long procès au
Parlement (conservé et édité) qui oppose les frères de Guillaume à la jeune
Blanche, à laquelle le roi a rapidement pardonné. La réputation de Flavy en
sort salie : il battait sa femme, la trompait, il avait trente ans de plus
qu’elle et l’avait épousée pour sa dot. Il était, en outre, féroce envers les
habitants de Compiègne. À la limite, il l’a bien mérité. Comme le dira le
chroniqueur Chastellain (qui est bourguignon), il était « digne de
mauvaise fin par la perversité de sa vie ». L’histoire devient encore plus
sanglante lorsque les frères de Guillaume décident de ne pas s’en remettre à
une justice royale aléatoire et de se venger eux-mêmes. Leurs gens attentent
une première fois à la vie de Louvain, qui n’est que blessé, en 1451, lors du
premier siège de Bordeaux par Charles VII. Pierre se remet ;
entre-temps, il a épousé Blanche et contrôle son héritage, dont Acy et Nesles.
En 1464, les frères décident de s’en occuper eux-mêmes. Pierre tombe dans une
embuscade en forêt de Compiègne : il est massacré, égorgé, a les yeux
crevés… Ce fait divers scandaleux s’inscrit alors dans de nombreuses
chroniques. Mathieu d’Escouchy en fait un récit complet, qui n’est pas tendre
pour la réputation de Guillaume. En somme, c’est sa mauvaise mort qui a fait un
traître de notre capitaine.
Et c’est comme traître qu’il s’inscrit dans de nombreux
textes des années 1500, le récit s’enjolivant au fil du temps. Au Parlement, le
procès de Guillaume de Flavy devient un précédent et une cause exemplaire qu’on
cite à chaque fois qu’une noble dame expédie dans l’autre monde un époux
détesté. Cela arrive. Les livres consacrés aux femmes illustres, qui comportent
souvent une biographie élogieuse de la Pucelle, la disent alors
« vilainement prise » ou « prise par trahison ».
Des éléments nouveaux s’ajoutent : Flavy haïssait
Jeanne, qui lui reprochait sa conduite tyrannique avec sa femme (pour Lebrun
des Charmettes) – le seul problème étant qu’en 1431 Guillaume n’avait pas
encore épousé Blanche… D’ailleurs, il y aurait eu préméditation. Selon le
chroniqueur breton Alain Bouchart, Flavy aurait été en contact avec les
Bourguignons depuis belle lurette : « L’avait jà vendue aux
Bourguignons et pour parvenir à ses fins, il la pressait fort de sortir par
l’une des portes de la ville, car le siège n’était pas devant icelle
porte. »
Enfin, si le roi avait facilement pardonné à Blanche, qui,
après tout, n’avait fait que défendre sa vie, pense Brantôme, c’est que le roi
avait gardé rancune à Flavy pour la prise de la Pucelle. « Bien donna le
roi [à Blanche] sa grâce : aida bien la trahison du mari pour l’obtenir
plus que tout autre chose. » Même le roi aurait donc eu des doutes. Il
souhaitait la punition du traître.
Résultat, notre Flavy devint le méchant de l’histoire et fut
considéré presque unanimement comme un traître au XVI e siècle et au
XVII e siècle. Ce n’est guère qu’au XVIII e siècle que le
dossier fut rouvert : « Cette perfidie n’est pas avérée. » Au
XIX e siècle, des démonstrations solides émanant de J. Quicherat
ou de P. Champion, qui publia de nouvelles pièces, prouvèrent avec une
quasi-certitude l’innocence du capitaine de Compiègne. Comme quoi, on peut être
à la fois un piètre mari et un bon Français !
Jalousée par les
capitaines ?
Il fallut donc trouver d’autres coupables. La chronique
exactement contemporaine de Perceval de Cagny, qui émane du camp armagnac,
désigne très clairement « certains conseillers » royaux comme
hostiles à la Pucelle et dénonce globalement l’« envie des autres
capitaines » comme responsable des difficultés de Jeanne après le sacre.
Mathieu Thomassin, la chronique de Lorraine, la chronique de P. Cochon, la
chronique de Tournai s’en tiennent comme Perceval à des accusations
collectives. Le doyen de Saint-Thiébaut vise nommément le favori Georges de La
Trémoille, « qui n’était mie bien loyal au roi ; il avait envie des faits
qu’elle faisait et fut coupable de sa prise ».
L’envie est traditionnellement au deuxième rang dans la
liste des sept
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