Jeanne d'Arc Vérités et légendes
élastique ! Tout
Bourguignon était un traître en puissance. Jamais ils ne respectaient leur
parole à titre individuel, jamais ils ne se souciaient des paix qu’ils avaient
jurées à titre collectif. Ils ne sauraient donc être acceptés dans une société
politique normale, qui repose sur le serment. Dès la Lettre aux Anglais, Jeanne s’en était prise « à ceux qui veulent porter trahison et mal engin
et dommage au royaume ». Elle ne les aimait pas. Le traître, auquel elle
s’attendait, était à coup sûr un Bourguignon. Puisqu’ils étaient déjà traîtres
au roi de France, puisque Philippe refusait de faire hommage à
Charles VII, tous les Bourguignons devaient souhaiter la mort ou la
capture de Jeanne, si fidèle à son roi. Mais plus dangereux encore était celui
qui ne s’avouait pas ouvertement bourguignon, mais l’était de cœur, ou encore
celui qui se montrerait un peu trop sensible à l’or que pouvait dispenser en
abondance le grand-duc d’Occident.
Dans ce monde qui craignait tant la trahison, des parades
avaient été imaginées : toute nourriture était goûtée, tout grand
personnage était sans cesse entouré d’une escorte. Quand Jeanne fut prise à
Compiègne le 23 mai 1430, elle était accompagnée de son frère Pierre, de son
confesseur Jean Pasquerel et de sire Jean d’Aulon, auquel le roi l’avait
confiée. La trahison attendue s’était-elle produite ?
Trahie par
Guillaume de Flavy ?
Ce jour-là, tout s’était mal passé. Les opérations autour de
Margny-sur-l’Oise, au nord de la ville, avaient provoqué l’arrivée de renforts
bourguignons venus de Clairoix, puis de la garnison anglaise de Venette qui
coupa la retraite à la petite troupe de Jeanne. La plus grande partie de ses
gens réussirent à rentrer en ville. Le capitaine de Compiègne, Guillaume de
Flavy, fit refermer les portes dans l’urgence. Jeanne elle-même se retrouva
coincée à l’extérieur, désarçonnée et prise.
Guillaume de Flavy [46] a-t-il trahi Jeanne d’Arc ? Ou fut-elle victime de son courage et des
hasards de la guerre ? Pour ses contemporains, Flavy n’a rien fait de mal.
Il tint héroïquement la ville jusqu’en octobre et à l’arrivée d’une puissante
armée de secours qui sauva la cité. Puis il resta capitaine de Compiègne
jusqu’à sa mort en 1449.
Du côté armagnac, aucun des deux procès et aucune chronique
contemporaine (même Perceval de Cagny) ne font allusion à une quelconque
trahison de ce « vaillant homme de guerre ». Côté bourguignon, Flavy
est moins flatté : « Le plus tyrannique : il faisait horribles
crimes comme de prendre filles, faire mourir gens sans pitié et les
noyer. » Autrement dit, Flavy est un routier et un soudard brutal et peu
fréquentable. Il aime l’or, il viole, il ravage les terres des paysans. Tous
les stéréotypes de la violence de la soldatesque peuvent s’appliquer à lui.
Mais il ne trahit toujours pas. Même Monstrelet, qui participa à la campagne
côté bourguignon et fut le témoin oculaire de la prise de Jeanne, n’en dit
rien. Pourtant, des bruits avaient commencé à courir du vivant même de notre
capitaine. « Aucuns veulent dire que quelqu’un des Français fut cause
qu’elle ne pût se retirer ; qui est chose facile à croire, car on ne
trouve point qu’il n’y eut aucun Français, au moins parmi les hommes de nom, pris
ou blessé. Je ne veux pas dire qu’il soit vrai : mais, quoi qu’il en soit,
ce fut grand dommage » (Chronique de la Pucelle). En 1444, lors
d’un procès au Parlement qui oppose Flavy aux Rieux, l’avocat adverse met en
cause l’honneur du capitaine : « N’est à croire qu’il refusa [alors
en 1429] 30 000 écus [du duc de Bourgogne pour livrer la ville] vu qu’il
ferma les portes à Jeanne la Pucelle ; on dit qu’il en eut plusieurs
lingots d’or. » Même chose dans le Registre de Mathieu Thomassin.
C’est l’accusation simple : Flavy a trahi pour de l’argent (qui est de
l’or, en fait !), sans que soient mis en cause sa parenté avec Renaud de
Chartres, l’archevêque de Reims, ni ses liens avec le favori Georges de La
Trémoille, qui n’aimaient Jeanne d’Arc ni l’un ni l’autre. Il n’y aurait eu
cependant aucune préméditation : Flavy aurait juste profité des
circonstances. Il aurait ensuite été payé par les Bourguignons reconnaissants.
Là-dessus, le 9 mars 1449, notre capitaine meurt dans des
circonstances horribles, en
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