Jeanne d'Arc Vérités et légendes
d’Estivet, tombé dans une fosse septique comme l’hérétique Arius, ou
sur la triste fin de Nicolas Loiseleur. Dieu prenait parti, pensa-t-on, contre
les juges de Jeanne. La ville de Rouen, en inventant ou en enjolivant ces
histoires, exorcisait une sorte de culpabilité collective. Il devint difficile,
après 1450, d’avoir été le lieu du procès et du supplice de Jeanne. Rouen se
trouvait devant une réinterprétation nécessaire des souvenirs collectifs.
L’oubli ne suffisait plus.
Sur le plan collectif, l’opinion attendit de voir comment
évoluerait le règne de Charles VII : si Dieu lui donnait par la suite
victoire, paix et prospérité, c’est qu’il ne lui tenait pas rigueur pour la
passivité qu’il avait montrée en 1430-1431. Or, les victoires s’accumulèrent.
Les troupes royales entrèrent dans Paris au printemps 1436, comme la Pucelle
l’avait annoncé, puis le 19 octobre 1449 le roi entra à Rouen après une
campagne à laquelle il avait activement participé, enfin, en 1450, la Guyenne,
anglaise depuis le XII e siècle, redevint française et en 1453
Bordeaux tomba. La guerre de Cent Ans était finie, donnant raison finalement à
la diplomatie royale. La réconciliation avec la Bourgogne avait permis de bouter
les Anglais hors de France. Et la fin du règne fut heureuse et prospère.
Charles VII se
rachète
Charles, qui n’avait rien fait pour la mémoire de la Pucelle
entre 1431 et 1449, où la consigne officieuse semble bien avoir été le silence,
changea alors d’avis. Les circonstances lui en offraient la possibilité. Il
avait enfin sous la main les minutes des procès et les témoins.
Politiquement, le roi avait intérêt à faire quelque chose.
Il était fort gênant pour un prince, bien en place désormais, de rester
implicitement accusé de collusion avec une hérétique, voire de tenir son trône
d’une sorcière. Et la politique de réconciliation nationale qu’il menait pour
mettre fin à trente ans de guerre civile impliquait de donner aussi quelques
gages aux Armagnacs, fondés à penser qu’on les avait assez mal récompensés
jusque-là pour leur dévouement. En 1435, le Bâtard d’Orléans avait refusé de
jurer le traité d’Arras. Par le procès en nullité, le roi payait en quelque
sorte leur dû tant à la mémoire de la Pucelle qu’à ceux qui l’avaient servi en
des temps difficiles.
La nullité n’allait pas de soi. Il fallait l’accord des
papes, rarement enclins à annuler une sentence d’Église. Il fallut cinq ans
pour trouver un compromis entre roi et papauté à coup d’enquêtes préliminaires,
de consultations juridiques, d’envoi de légats. Trois papes moururent à la
tâche ! Enfin, le 7 novembre 1455, Isabelle Romée, mère de Jeanne, remit
aux juges le rescrit de Calixte III qui permettait l’ouverture d’un
nouveau procès destiné à réparer la réputation d’une « innocente brisée
par un procès inique ». Il n’avait qu’un but modeste : prouver
l’irrégularité du premier procès et dégager Jeanne de l’accusation d’hérésie.
Les juges de Charles VII n’avaient nullement l’intention de proclamer la sainteté
de la Pucelle ni de faire de celle-ci un modèle exemplaire. Les témoins qui
avaient fréquenté Jeanne étaient tous armagnacs. Chez certains affleurait la
nostalgie de la sainteté et du miracle. Enfin, ils disaient
« miracle » parce qu’ils n’étaient pas théologiens. Est-ce un miracle
quand le vent change de sens sur la Loire, permettant l’entrée d’un convoi de
vivres à Orléans ? Est-ce un miracle quand Jeanne pousse le duc d’Alençon,
qui échappe à un boulet de canon qui tue à sa place le seigneur du Lude ?
Ni l’Église ni le roi n’avaient l’intention de le croire. La proclamation de la
nullité suffit. Quand mourut Charles VII, aucune des Déplorations ou Vigiles qui furent alors écrites en grand nombre n’hésita à
mentionner Jeanne d’Arc. Le roi n’était pour rien dans sa mort, dont les
Anglais portaient seuls désormais la responsabilité. La trahison est donc
évacuée du corps de la nation et attribuée à l’ennemi héréditaire. C’est bien
commode.
9
Putain ou sorcière ?
Seuls les Bourguignons et les Anglais ont pensé que
Jeanne pouvait être putain ou sorcière. Le thème garda une certaine actualité
jusqu’à la Révolution. Nul n’y croit plus aujourd’hui : la réputation des
femmes n’est plus liée uniquement à leur
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