Jeanne d'Arc Vérités et légendes
la
substitution en présence, quand même, de pas mal de monde ! Alors, tous
complices ? Par la suite, Jeanne fut, en effet, toujours visible à un
large public.
Elle monta dans une charrette en habit de femme, accompagnée
par les dominicains Ladvenu, Isembard de la Pierre et par le notaire Massieu.
Le véhicule, bien que tiré par quatre chevaux, eut toutes les peines du monde à
se frayer un chemin dans la foule entre le château et la place du Vieux-Marché.
Nicolas Loyseleur (qui avait joué les moutons durant les interrogatoires et
voté la torture) s’approcha d’elle, en pleurant, pour lui demander pardon.
L’escorte fortement armée qui entourait le chariot le repoussa brutalement. Il
ne dut son salut qu’à un prompt refuge auprès du comte de Warwick.
La place du Vieux-Marché avait son allure des jours
d’exécution. Les lourds volets des magasins, au rez-de-chaussée, étaient
fermés, les soldats nombreux et la foule plus encore. Les menuisiers y avaient
construit trois hautes estrades en bois. Sur la première, les prélats autour du
régent, le cardinal de Winchester. On avait épargné le spectacle au petit
Henry VI, qui n’était guère âgé que de neuf ans. C’est autour de cette
première estrade que se déroula l’abandon au bras séculier. Nicolas Midi prit
pour thème l’Évangile de Jean : « Je suis la vigne et vous êtes les
sarments… Qui se sépare de moi est promis à la mort. » Pierre Cauchon lut
la condamnation et incita Jeanne au repentir. Celle-ci se mit à genoux, demanda
pardon à tous et incita clercs et spectateurs à prier pour elle. Les Anglais,
impatients, criaient : « Prêtres, vous n’allez pas nous faire dîner
ici ! »
Normalement, un second procès, séculier celui-là, aurait dû
alors s’ouvrir. Seul l’État – en l’espèce, ici, le bailli de Rouen –
avait le droit de condamner à mort. Bien évidemment, il aurait garde de ne pas
s’écarter de ce que souhaitait l’Inquisition. Mais c’était un délai
supplémentaire. Raoul Bouteiller et son lieutenant étaient sur la deuxième
estrade. Les Anglais poussèrent brutalement Jeanne devant lui. Il aurait pu
formaliser son jugement. De toute façon, cette fille allait mourir, un peu plus
tôt, un peu plus tard, quelle importance ! Il n’allait pas risquer de se
faire écharper pour elle. « Fais ton office », dit-il simplement au
bourreau. Cette absence de procès civil fut plus tard utilisée par les juges de
Charles VII.
Jeanne se retrouva devant la troisième estrade où le bûcher
avait été construit, beaucoup plus haut que d’habitude, pour qu’elle fût bien
vue. Trop haut, dit plus tard le bourreau, qui avait pourtant réussi à la lier
au poteau. Il n’avait pas pu l’étrangler, comme on faisait d’habitude, pour lui
épargner la souffrance. Ou n’avait-il pas osé, de peur d’être lynché ?
Jeanne sentit le feu et cria plusieurs fois Jésus dans les
flammes. Puis elle laissa tomber sa tête, tuée à la fois par la fumée et par la
chaleur. Le bourreau écarta les fagots pour que chacun pût voir le corps
déshabillé par le feu. C’était bien cette femme, elle était bien morte. Il
rajouta de la paille et ralluma le feu, qui brûla durant plusieurs heures.
Le corps se consuma, les membres racornis se replièrent
contre la poitrine. Puis le crâne et la cavité abdominale explosèrent sous la
pression de la vapeur accumulée. Esquilles et morceaux d’os furent projetés sur
les spectateurs en contrebas, tandis qu’une affreuse odeur de chair brûlée se
répandait sur la place. Quand le bûcher s’éteignit, il restait encore une
partie des entrailles et le cœur de Jeanne intacts, les organes humides brûlant
moins bien. Le bourreau dut ajouter de l’huile et de la poix et allumer le feu
une troisième fois.
Les hommes du XV e siècle venaient volontiers voir
les exécutions en famille, d’autant que le spectacle était rare. Mais, pour que
l’exécution fût considérée comme juste par l’opinion, il fallait que la
condamnée ait eu une attitude exemplaire. C’était le cas. Le public avait pu
constater qu’elle était bien jeune, apeurée et pieuse. Voir une sorcière crier
Jésus avait quelque chose de perturbant. Les réactions autour du bûcher furent,
comme souvent, excessives. Toute exécution a un effet cathartique. Le règne
d’Henry VI s’annonçait bien : la fille était morte et les Anglais
soulagés. Mais d’autres furent
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