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Jeanne d'Arc Vérités et légendes

Jeanne d'Arc Vérités et légendes

Titel: Jeanne d'Arc Vérités et légendes Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Colette Beaune
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trouvé une femme
qui n’ait pas compris qu’il s’agissait du supplice d’une autre. L’actrice
devait satisfaire à un certain nombre de critères difficiles à réunir :
avoir l’âge de Jeanne (les sorcières médiévales, on l’a vu, étaient en général
des femmes âgées. Alice et Cardine n’avaient probablement pas vingt ans), avoir
à peu près la même stature et lui ressembler vaguement.
    Les mythographes, conscients de la difficulté, supposent que
Jeanne fut cachée et peu visible durant toute la matinée. Pour dissimuler sa
silhouette, disent-ils, sa robe aurait été enduite d’huile, de charbon et de
soufre pour accélérer la combustion. Là, l’erreur est flagrante puisque ces
produits ne furent versés que sur les entrailles de la suppliciée, quand le feu
fut rallumé pour la troisième fois.
    Sur le bûcher aurait été placé un large écriteau, destiné à
la masquer encore un peu plus, sur lequel était écrit : « Jeanne qui
s’est fait nommer la Pucelle, menteresse, pernicieuse, abuseresse du peuple,
devineresse, superstitieuse, blasphémeresse de Dieu, présomptueuse, mal créant
en la foi Jésus-Christ, vanteresse, idolâtre, cruelle, dissolue, invocateresse
de diables, apostate, schismatique, hérétique. » Clément de Fauquembergue,
seule source sur ce sujet, dit au contraire qu’il était placé beaucoup plus bas
« devant l’échafaud où ladite Jeanne était ». La liste des chefs
d’accusation n’était évidemment nullement destinée à être brûlée !
    Le visage de Jeanne était-il visible ? Notre greffier
parisien pense que la Pucelle avait sur la tête une mitre où était écrit :
« hérétique, relapse, apostate, idolâtre », parce que c’était
l’usage. Aucun des témoins de l’exécution à Rouen ne l’a vue, ni n’en parle.
    Ou bien fut-elle amenée du château « le visage
embranché », comme le dit la chronique de Perceval de Cagny ? Ce mot,
qui appartient à l’origine au vocabulaire de l’équitation, a des sens
multiples : caché, dissimulé, voilé, mais aussi penché ou triste, comme
l’indique le Dictionnaire de l’ancienne langue française de Godefroy
paru à la fin du XIX e siècle. C’est d’ailleurs le texte de notre
chronique qu’allègue F. Godefroy, d’après l’édition partielle du recueil de
Quicherat, pour l’entrée « Caché, dissimulé ».
    Que penser du texte de Perceval ? Écrit entre 1436 et
1438 dans l’entourage du duc d’Alençon, il fixe une tradition très armagnac de
l’histoire de Jeanne. Notre chroniqueur n’était évidemment pas présent à Rouen,
où il aurait risqué d’être reconnu et exécuté dans l’instant. Il n’y a pas, non
plus, envoyé des espions. Seuls les mythographes les ont vus ! Non que
l’espionnage soit inconnu au Moyen Âge, mais Perceval dit avoir eu connaissance
de « rapports » de ceux qui avaient vu cette mort (voyageurs ou
marchands). Lui ne se présente pas comme un témoin direct.
    Que veut-il signifier en utilisant un mot probablement déjà
ambigu au XV e siècle ? Que Jeanne est montée au bûcher avec
tristesse, abandonnée des siens et regrettant des jours trop courts ? Ou
bien que son visage était « dissimulé » (voilé est exclu, ce n’était
pas l’usage de voiler les condamnés puisque la peine devait être exemplaire.
Jeanne, par ailleurs, parla plusieurs fois et embrassa la croix) ?
« Embronché » préserve l’avenir. On saura bien un jour si Jeanne est
morte (comme Perceval le pense, quand il est réaliste) ou si elle a survécu
(comme il l’espère, sans trop y croire). Plus tard, notre chroniqueur optera
pour une position de repli : le corps de Jeanne a été brûlé mais son âme
protège toujours, du Paradis où elle se trouve, les entreprises du roi Charles.
Toujours est-il que ce passage de la chronique est l’argument le plus sérieux
des mythographes survivalistes.
    Notre actrice improvisée aurait donc joué le rôle de sa vie.
Il lui aurait fallu, pendant trois heures, convaincre aussi par ses gestes et
par ses paroles. Et mourir brûlée vive, comme l’autre (qu’elle ne connaissait
pas) l’aurait fait, en criant Jésus. C’est peu crédible.
    À toute actrice, il faut des spectateurs. Mais, pour les
mythographes, il est nécessaire qu’il y ait eu le moins de témoins possible,
que ceux-ci aient été placés très loin et aient fort mal vu, ou qu’ils soient
partis très vite. Enfin ceux qui ont vu

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