Jeanne d'Arc Vérités et légendes
est mon corps »). Les Évangiles
présentaient, sur l’accès des femmes à la parole, des leçons équivoques. La
Vierge n’y prononçait guère que trois phrases elliptiques, mais le Christ
chargeait l’une d’elles d’annoncer aux Apôtres sa résurrection. (La Glose
s’interroge : « Est-ce parce que les femmes sont bavardes, ce qui donnait
au Seigneur la certitude d’une bonne diffusion, ou parce qu’elles sont dignes
de prêcher ? ») Les Épîtres de saint Paul posent les bases de
l’exclusion féminine : « Que les femmes se taisent dans les
assemblées » ou « Je ne permets pas à la femme d’enseigner ni de
faire la loi ». L’Église fixa donc très vite des limites strictes à la
parole féminine publique en matière de liturgie, de prédication ou
d’enseignement. Mais, dans le domaine privé, la parole féminine était au
contraire encouragée. C’était aux femmes de convertir leur mari (comme
Clotilde) ou de le maintenir dans le droit chemin, c’était aux mères
d’enseigner (comme Blanche de Castille) prières et vertus aux petits enfants.
Des femmes qui
osent
Claude et Jeanne ont beaucoup parlé. Jeanne a parlé aux
femmes, aux enfants dans les rues des villes de la Loire, mais aussi à des
soldats réunis avant l’assaut ou même aux membres du Conseil royal. Parler à
des hommes en groupe, parler parfois dans des églises (à Lagny, à Compiègne),
est très limite. De même, elle refusa parfois de répondre aux questions des
juges. Elle ne leur dirait pas ce qui appartenait à Dieu, ou à ses voix, ou au
roi. Claude, elle aussi, répondra hardiment et insolemment aux juges parisiens,
se vantant tant de sa rébellion familiale que d’avoir à la guerre tué par deux
fois. Sur la liberté de parole des femmes, l’une et l’autre n’étaient pas loin
de partager l’avis de Christine de Pisan, leur contemporaine : « Si
Dieu avait voulu que les femmes ne parlassent point, Il les aurait faites muettes ! »
Il y a pourtant une différence importante. Jeanne était
prophétesse, porteuse d’un message de Dieu. C’est comme telle qu’elle se
présenta à Chinon, et comme telle qu’elle fut condamnée à Rouen, quand les
juges considérèrent que ses voix provenaient du diable. Claude semble bien être
aussi apparue comme prophétesse. Elle parlait par parabole, son pouvoir
commencerait à la Saint-Jean-Baptiste. À Cologne, elle prédit le succès du
candidat souhaité par les Virnenbourg. Mais, après son escamotage précipité,
elle s’assagit. Plus jamais elle ne prétendit à la parole prophétique ni à
l’exercice de pouvoirs particuliers.
L’accès à la guerre était, en quelque sorte, un problème
plus simple. Aucun texte des Écritures n’interdisait la guerre aux femmes. Dans
l’Ancien Testament, Judith avait sauvé sa ville natale assiégée par les
Assyriens en coupant la tête de leur chef ; Déborah, en portant l’étendard
sur le champ de bataille, assura la victoire des Juifs qu’elle avait
prophétisée. Et si l’Évangile, moins militant, prônait plutôt de tendre l’autre
joue, cette injonction valait pour les deux sexes !
Il fallut attendre les environs de l’an mil et la paix de
Dieu pour que l’Église se souciât d’établir des normes de comportement
différentes, en cas de guerre, pour les hommes et pour les femmes. Les
chevaliers eurent le monopole du combat et du port d’armes. Ils durent jurer de
ne toucher ni aux biens ni aux personnes désarmées. Les femmes étaient de
celles-là. Or, si la paix de Dieu les mit bien hors guerre, cette législation
ne leur était pas réservée, mais visait prioritairement les églises et les
clercs. On aligna de ce point de vue clercs et femmes, tous deux porteurs de
longue robe. Elles ne purent plus être des guerrières que spirituellement (en
luttant contre le péché), à deux exceptions près. Comme tout chrétien promis au
salut, elles participèrent parfois activement aux croisades. La guerre pour
Dieu est par définition bisexuée. Elles purent aussi se défendre si leur
personne, leur vertu ou leur maison (et, par extension, leurs châteaux ou
fiefs) étaient attaquées.
Désormais, la guerre offensive se livrait entre des groupes
de combattants professionnels soldés qui s’affrontaient en champ ouvert, loin
des foyers. Vers 1300, Gilles de Rome, le précepteur de Philippe IV le
Bel, justifie l’exclusion des femmes de la guerre : « Elles sont la
plus
Weitere Kostenlose Bücher