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Jeanne d'Arc Vérités et légendes

Jeanne d'Arc Vérités et légendes

Titel: Jeanne d'Arc Vérités et légendes Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Colette Beaune
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peureuse chose qui soit et de froide complexion… elles ont molle chair et
peu de force de corps… aussi ne doit-on pas les mettre à combattre. »
    Moins de cinquante ans après, les choses avaient changé. Les
hommes étaient désormais absents ou trop peu nombreux. Les femmes durent
soigner, nourrir, approvisionner en flèches ou en eau bouillante, gérer fiefs
et châteaux. Et, si les mythographes ont tort en alléguant les exploits à
Hennebont de Jeanne de Montfort en 1342 – lesquels sont une jolie
invention de Froissarit -, il est bien vrai que de pauvres filles furent les
porte-étendard des villes de Flandre à la fin du XIV e siècle et se
firent tuer. Une grande dame comme Pernelle de La Rivière défendit
courageusement en 1418 son château de La Roche-Guyon contre les Anglais avant
de devenir, en récompense, première dame d’honneur de la reine Marie d’Anjou.
    L’opinion était donc plus ou moins prête à ce que Jeanne ou
Claude participent à la guerre, d’autant que les légistes du roi Charles
présentaient celle-ci comme purement défensive. L’envahisseur était anglais. En
cas de guerre défensive, tous pouvaient être appelés, quels que soient leur
sexe ou leur état. Orléans était une autre Béthanie, l’étendard de Jeanne,
proche de celui de Déborah. Ce qui surprit le plus, c’est qu’elles aient, l’une
comme l’autre, fait la guerre longtemps et exercé des commandements.
    L’aventure de Jeanne d’Arc est une extraordinaire
revendication d’autonomie personnelle et féminine. Il n’y a rien d’étonnant à
ce qu’elle ait fasciné Claude ou Jeanne-Marie. Même si Jeanne n’envisageait pas
du tout d’étendre aux autres femmes le rôle à part qu’elle s’était attribué,
même si elle pensait être une exception voulue par Dieu et non un modèle, elle
symbolise aujourd’hui pour nombre d’historiennes [66] la résistance à l’ordre masculin.
     

Conclusion
    L’historien n’a pas la part belle face au mythographe. Il
cumule les handicaps. Tout ce qu’il avance se doit d’être confirmé par une
source et il lui faut rendre compte de la réalité dans sa totalité. Tout
historien de la Pucelle un peu sérieux utilise aussi bien les textes armagnacs
que les textes bourguignons. Et c’est ainsi que les mythes du XV e siècle ont tous été examinés et intégrés progressivement à une histoire, dont
les progrès actuels reposent sur le refus de confondre foi et raison, raison et
conviction. Parfois, le chercheur n’aboutit à aucune certitude et l’indique,
quitte à laisser ses lecteurs insatisfaits. L’historien, je l’avoue, se soucie
de vérité plus que de proximité.
    Le mythographe, lui, sait et affirme. Il n’a pas trop besoin
de sources. L’hypothèse lui suffit. De celle-ci il en déduit une autre, bientôt
transformée en certitude. Son discours est plus une affaire de conviction que
de méthode. Sera-t-il assez persuasif pour faire croire à des résultats
évidemment plus sensationnels et plus rapides que ceux de l’historien ?
     

Des
disqualifications en série
    Les thèses bâtardisantes et survivalistes, qui restent
seules aux mains des mythographes, sont nées au XIX e siècle et en
reflètent les valeurs (la raison, la laïcité) comme les préjugés (envers la
jeunesse, les femmes ou la pauvreté). Leurs auteurs appartenaient presque tous
à d’honorables familles bourgeoises. Ainsi Caze, notre futur sous-préfet et
père spirituel de tous les bâtardisants, était-il le fils d’un riche marchand
de vins bordelais. La plupart étaient des laïcs convaincus et peu d’entre eux
avaient reçu une formation historique approfondie.
    Pour eux, la jeunesse n’avait pas vocation à transformer le
monde. À la Jeanne adolescente intrépide, ils substituent une jeune adulte, qui
plus est manipulée par une génération plus âgée qui monopoliserait expérience
et pouvoir. L’enfance n’est pas mieux traitée et le témoignage de la petite
Charlotte Havet [67] est récusé, car elle n’avait que dix ans en 1429. Le monde des mythographes ne compte
en fait ni enfants, ni adolescents, ni vieillards. Or le XV e siècle,
même si le pouvoir y appartient souvent aux gens âgés, détenteurs jusqu’à leur
dernier souffle du pouvoir, de l’or et des femmes, est peuplé d’enfants
nombreux qui ne vivront pas tous. Charles VII exerça le pouvoir à quinze
ans. À vingt ans, bien des princes avaient déjà commandé des

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