Journal Extime
d’onanisme et une victoire de l’érotisme sur la nutrition pouvant mettre la vie en péril.
Ma cuve à mazout qui fonctionne depuis vingt-cinq ans est vide, et un spécialiste vient la récurer. Pour ce faire, cet homme – qui n’est ni jeune, ni mince – se glisse à l’intérieur par le « trou d’homme » de quarante-cinq centimètres de diamètre avec tout juste quarante centimètres d’espace jusqu’à la voûte de la cave. Le plus curieux, c’est qu’il a l’air d’aimer ça. Je me demande comment on le sortirait de là s’il avait un malaise dans l’air empesté de la cuve. Faudrait-il le couper en morceaux ou fendre la cuve comme pour une césarienne ?
Maréchal Lyautey : Quand on claque les talons devant moi, j’entends distinctement le couvercle d’un cerveau qui se rabat.
J’ai un jeu d’échecs électronique depuis deux jours. Il me rosse de la façon la plus humiliante sans que j’en ressente le moindre dépit. Alors que je haïrais vigoureusement l’adversaire humain qui me battrait de la sorte. Sans doute sa propre absence d’affectivité – il n’éprouve évidemment aucune sorte de satisfaction à m’humilier – est-elle d’une bienfaisante contagion. Ce n’est pas qu’il soit génial, mais il ignore la bévue et ne laisse échapper aucune des miennes. Joueur médiocre, mais infaillible. Et cela encore : il est aveugle, ne voit pas l’échiquier. Il ne connaît la position des pièces qu’en refaisant l’histoire de toute la partie. Type secondaire. Alors que le joueur humain enfermé dans le présent ne connaît que l’aspect immédiat de l’échiquier et ne se soucie pas de savoir comment on en est arrivé là. Type primaire.
Pâque orthodoxe. Julian Negulesco me téléphone : « J’ai une grande nouvelle à t’annoncer : Christ est ressuscité ! »
Colette : « À quoi bon lui expliquer ? Deux femmes enlacées ne seront jamais pour lui qu’un groupe polisson, et non l’image mélancolique et touchante de deux faiblesses, peut-être réfugiées aux bras l’une de l’autre pour y dormir, y pleurer, fuir l’homme souvent méchant, et goûter, mieux que tout plaisir, l’amer bonheur de se sentir pareilles, infimes, oubliées… »
F. Mitterrand, préparant un discours qu’il doit faire à Bonn sur vingt ans d’amitié franco-allemande, me remercie de lui avoir fait parvenir un choix de citations d’écrivains français sur l’Allemagne (notamment de Giraudoux).
Édith Cresson, Premier ministre, a quelque peu choqué en déclarant que la France ne devait pas « devenir comme le Japon une société de fourmis. » Rencontrant le romancier japonais Prix Nobel Ôé Kenzaburô, je lui demande ce qu’il pense de cette déclaration. Il me répond qu’elle l’a vivement intéressé et qu’il s’est aussitôt plongé dans un traité d’entomologie sur les fourmis. Il a relevé chez les fourmis un trait qui se retrouve en effet dans la foule japonaise : l’entomologiste met l’observateur superficiel en garde contre une illusion. Le grouillement affairé d’une fourmilière donne le spectacle d’un travail fiévreux de chaque fourmi. Or il n’en est rien, la plupart se déplacent sans but défini. Voilà qui est typiquement japonais, dit Ôé, s’efforcer de donner l’illusion d’une activité intense alors qu’il n’en est rien.
La voiture Rolls-Royce avait, comme son nom l’indique, deux créateurs qui s’appelaient l’un Rolls, l’autre Royce. Les deux lettres s’écrivaient en rouge. En 1910 Rolls vient à mourir et, dès lors, on écrit son nom en noir. Royce disparaît à son tour en 1933 et désormais les deux noms s’écrivent en noir. On peut ainsi dater les voitures les plus anciennes. Les deux R en rouge : avant 1910. Un R rouge, l’autre noir : de 1910 à 1933. Depuis 1933 : les deux R en noir.
L.P. m’explique qu’il vole régulièrement des objets – notamment des couverts dans les restaurants et les avions – par une forme de cleptomanie assez particulière. Ce n’est pas l’émotion procurée par l’acte furtif avec le risque couru qui est recherchée. Rien de semblable pour lui. Ce qui l’intéresse, c’est la valeur particulière et irremplaçable que possède l’objet volé à ses yeux. Sa qualité d’objet volé lui donne un évident prestige, sans doute un peu crapuleux, comme un seigneur de jadis pouvait éprouver une tendresse plus grande et
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