Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Journal Extime

Journal Extime

Titel: Journal Extime Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Tournier
Vom Netzwerk:
surtout plus savoureuse à l’égard de ses enfants bâtards que pour ses enfants légitimes.
     
    Le zoologue Boris Cyrulnik affirme que les chimpanzés s’accouplent dos à ventre quand ils sont en liberté et ventre à ventre quand ils sont en captivité. Il explique cette différence par le fait qu’en captivité les animaux sont obligés de vivre face à face, alors qu’en liberté c’est la position de fuite-poursuite qui domine.
     
    Mariage et sympathie. Il faut prendre garde aux « gens simples ». Rien de plus subtil et raffiné parfois que leur comportement. Le père Siméon vient de m’en donner un bel exemple.
    C’est l’ébéniste du village, un artisan à l’ancienne. Ah, ce n’est pas lui qui marierait dans un même meuble essences nobles – chêne, acajou ébène – et bois légers – aulne, bouleau, marronnier. Et il faut le voir ajointer les pièces et les morceaux avec une attention presque amoureuse, faire pénétrer lentement dans la mortaise le tenon auquel il a donné la forme gracieuse d’une queue d’aronde.
    Vivant depuis quarante ans avec l’Eugénie, ils ont eu trois enfants qui ont pris chacun leur envol. Mais ne voilà-t-il pas que la plus jeune s’est mise une bizarre idée en tête ! Décidée à se marier, elle s’est aperçue – mais sans doute le savait-elle depuis longtemps – que ses parents, eux, n’étaient jamais passés devant Monsieur le maire et encore moins devant Monsieur le curé. Un couple libre en somme, indépendant, moderne, disent certains, un couple « à la colle », disent d’autres.
    Et mademoiselle a conçu le projet de marier ses parents, et ce en même temps, le même jour qu’elle-même épousera son Bernard. Elle n’avait pas prévu, hélas, la réaction de papa Siméon. Se marier, lui ? jamais ! Un homme à principes, et qui n’en démordrait pas.
    Eh bien non, il s’agissait d’autre chose, et là je dois dire que l’ébahissement a arrondi ma bouche quand je l’ai entendue.
    J’accompagnais chez Siméon l’ancien maire, un copain à lui, un camarade de l’école communale. C’était une ultime démarche entreprise à la supplication de la fille. Il ne fallait pas heurter de front le vieil entêté. On parla de choses et d’autres. Comme on dit, on tourna autour du pot. Finalement l’ancien maire se hasarda. « C’est bien d’avoir des principes, dit-il, et de s’y tenir. Mais enfin il faut savoir faire plaisir aux autres parfois, surtout aux enfants. Tu es sans doute braqué contre le mariage, mais ça fait quarante ans que tu vis avec l’Eugénie, et il ne s’agit finalement que d’une formalité. Qu’est-ce que ça changera pour toi ? »
    Siméon fixait le bout de ses chaussures, le visage durci.
    — J’ai rien contre le mariage, finit-il par articuler. Ce serait plutôt l’Eugénie.
    — L’Eugénie ? Qu’est-ce qu’elle a l’Eugénie ? Elle est d’accord avec sa fille, non ?
    Brusquement Siméon tourna vers nous un visage ému, presque blessé.
    — Elle a que je ne la trouve pas sympathique, prononça-t-il.

MAI
    Vent et pluie. Celle-ci néanmoins très insuffisante pour combler l’énorme déficit de ces trois derniers mois. Les paysans expriment cela en disant « ça arrose les jardins », entendant par là que pour les champs il en faut bien davantage.
    Je ne cesse de penser à Ralphine. Elle a demandé à être incinérée et répandue en cendres dans ce jardin. Brûler sa mère, c’est brûler une part de soi-même, c’est brûler sa propre enfance. Il y a une part d’amour-propre dans le chagrin de la mort d’une mère. Arrête de pleurer sur toi-même ! Les larmes de Narcisse.
     
    C’est peut-être l’influence du presbytère, de vieux problèmes de mon enfance religieuse remontent à la surface. Par exemple pour recevoir l’absolution de ses péchés, il faut un « acte de contrition », c’est-à-dire de repentir. Mais il y a un péché dont il est impossible de se repentir, c’est celui commis par amour. De ce péché-là, il faut que Jésus s’accommode, car il vient de Lui.
     
    Mon grand-père disait : « N’ont de problème de prostate que les chastes et les assis. » Je ne sais pas grand-chose de sa chasteté, mais son métier de pharmacien l’obligeait à travailler debout toute la journée, et le fait est qu’il est mort à quatre-vingt-treize ans sans avoir été opéré de la prostate.
     
    À un correspondant qui s’étonne du peu de goût

Weitere Kostenlose Bücher