Journal Extime
qu’il a en effet épousé Sophie il y a quarante ans et qu’ils ne se sont jamais quittés. Il endosse un faux passé, imaginaire certes, mais parfaitement cohérent et à coup sûr plus calme, plus « heureux » que son passé réel – solitaire, cosmopolite, tumultueux. Il n’a même pas un mot à dire pour que la métamorphose s’accomplisse. Il faut au contraire qu’il dise un mot pour qu’elle échoue.
Le douzième coup de minuit déclenche une averse que j’entends crépiter sur mon toit. Il n’est pas tombé une goutte d’eau de tout le mois de mars. Le jeune vent d’ouest tiède et humide est le bien-venu.
Istambul. Soirée chez Yachar Kemal, énorme paysan, braillard et affectueux qui parle sans arrêt, mais seulement en turc et en kurde. Il a connu la prison et a été torturé comme communiste. Son idée fixe, c’est le prix Nobel. Il a fait à cette fin un long séjour à Stockholm. Il a fait traduire à ses frais l’un de ses livres en suédois pour l’adresser aux membres de l’Académie royale. Mais en face de ces dix-huit exemplaires soigneusement empaquetés, il a eu le sentiment d’un manque. À coup sûr il fallait ajouter quelque chose, mais quoi ? Après mûre réflexion il a ajouté dix-huit paquets de rahat-loukoums turcs. Moi je lui aurais donné le prix Nobel pour ses rahat-loukoums !
Citation : « Pour bien jouer au golf, il n’est pas indispensable d’être idiot, mais ça aide. »
Alphonse Allais : La forme même des pyramides nous apprend que, dès la plus haute antiquité, les ouvriers avaient déjà tendance à en faire de moins en moins.
Gisèle me dit : « J’aime ta maison. » Je lui dis : « Ma maison, c’est moi. »
C’est vrai que quarante-cinq ans d’intimité rendent un couple indissoluble.
Il y a eu cette nuit de printemps humide où le mur du cimetière s’est effondré dans mon jardin avec la maisonnette du fossoyeur.
Quand je suis arrivé en 1957, la grande dame du village s’appelait Ingrid Bergman. Quand elle donnait des réceptions, il arrivait que ses invités s’égarent dans la nuit. Un soir on sonne chez moi. J’ouvre et je reconnais aussitôt Jean Renoir. Je mérite ainsi une modeste citation dans une histoire du cinéma pour avoir un jour conduit Jean Renoir à Ingrid Bergman. Question subsidiaire : quel est le film qu’ils ont tourné ensemble ? Réponse : Héléna et les hommes. Plus tard elle me demanda la permission de poser un projecteur sur le toit de mon garage pour illuminer le clocher de l’église en repère les soirs de réception. Il est toujours là.
Il y a eu les visites de François Mitterrand. Tout a commencé par un livre du photographe allemand Konrad Müller consacré au président français. C’était moi qui avais écrit la préface et j’avais vu Mitterrand à l’Élysée pour la première fois avec Müller. Quand nous nous étions quittés, il m’avait dit : « J’ai entendu dire que vous habitez un presbytère. Si vous m’invitez, je viens. » Que répondre d’autre ? : « Monsieur le Président, je vous invite. » Trois mois passent et un beau jour d’août, le téléphone sonne. C’est le secrétariat de l’Élysée. Le président s’annonce pour déjeuner trois jours plus tard. Ce n’est pas rien. Je constate que toutes mes assiettes sont ébréchées et qu’on boit dans des pots à moutarde reconvertis. Je me rééquipe totalement au bazar de Chevreuse. La patronne s’exclame : « On dirait vraiment que vous allez recevoir le président de la République ! » Seulement dès le matin, j’avais la police pour regarder sous mes lits et dans mes armoires. C’est ma gentille voisine, M me Le Bacquer, qui jouait les maîtresses de maison. L’accueil a dû être jugé bon, car F.M. est revenu plusieurs années de suite.
Un autre chef d’État a rendu visite au presbytère, mais celui-là le plus timide, le plus effacé qui fut jamais : Lothar de Maizières. Ce Prussien d’origine huguenote avait succédé à Erich Honecker en 1990 à la tête de la RDA dont il avait été en quelque sorte le naufrageur. Se trouvant à Paris, il a eu l’idée de faire visite au presbytère.
Un jour des adolescents sont venus armés d’un détecteur de métaux. « On va voir s’il y a un trésor dans ton jardin », me dirent-ils. Puis ils se sont mis au travail avec leur drôle d’outil. À la fin de l’après-midi, ils n’avaient pas trouvé de
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