Journal Extime
Il y a longtemps que j’ai pris l’habitude de noter non seulement les étapes et incidents de mes voyages, mais les événements petits et grands de ma vie quotidienne, le temps qu’il fait, les métamorphoses de mon jardin, les visites que je reçois, les coups durs et les coups doux du destin. On peut parler de « journal » sans doute, mais il s’agit du contraire d’un « journal intime ». J’ai forgé pour le définir le mot « extime ». Habitant la campagne depuis près d’un demi-siècle, je vis dans une société d’artisans et de petits paysans peu attentifs à leurs états d’âme. Ce « journal extime » s’apparente au « livre de raison » où les modestes hobereaux de jadis notaient les récoltes, les naissances, les mariages, les décès et les sautes de la météorologie. Je salue au passage Michel Butor qui a, je crois, fait mieux que mon « extime » en opposant l’ exploration et l’ imploration. La première correspond à un mouvement centrifuge de découvertes et de conquêtes. L’imploration au contraire à un repliement pleurnichard sur nos « petits tas de misérables secrets », comme disait André Malraux.
Tout cela ne mériterait sans doute pas d’être publié si ces pérégrinations, examens du ciel et visites données ou reçues ne s’accompagnaient pas de traces écrites, notules, gloses et autres incidentes. C’est que les choses, les animaux et les gens du dehors m’ont toujours paru plus intéressants que mon propre miroir. Le fameux « Connais-toi toi-même » de Socrate a toujours été pour moi une injonction vide de sens. C’est en ouvrant ma fenêtre ou en passant ma porte que je trouve l’inspiration. La réalité dépasse infiniment les ressources de mon imagination et ne cesse de me combler d’étonnement et d’admiration.
Découvrir, inventer, créer, il y a une affinité profonde entre ces trois démarches. Inventer, c’est étymologiquement invenire : aller-à, c’est-à-dire découvrir et créer. Rappelons qu’en termes juridiques celui qui « découvre » un trésor, s’appelle « l’inventeur » de ce trésor. Et il est bien vrai qu’avant son intervention, le trésor n’existait pas. C’est sa découverte qui l’a fait exister avec en plus un effet rétroactif.
Il en va de même des pays et des paysages. Sans l’œil qui les regarde, existeraient-ils ? Que faisait donc l’Amérique avant Christophe Colomb ? Et ces terres nouvelles ne doivent-elles pas leur visage à l’esprit et à l’âme du « découvreur » ? Le problème n’est ni mince, ni récent, c’est celui de la connaissance.
Reprenant mes « journaux extimes », j’ai donc émaillé les douze mois d’une année reconstituée de découvertes, observations et anecdotes nées sous mes pas. Comme dans les scènes populaires évoquées par les dessinateurs et les graveurs du Moyen Âge, le lecteur rencontrera plus d’une fois la silhouette encapuchonnée de Madame la Mort, compagne obligée de notre cheminement. Elle donnera, je pense, un écho plus profond aux occasions de rire qu’offre également ce petit livre.
JANVIER
Chaque année a lieu début janvier une curieuse fête à Heusenstamm, près de Francfort, à l’est de Neu-Isenburg, dans la salle de gymnastique du collège : la vente aux enchères des bagages perdus et non réclamés par des voyageurs de la Lufthansa. La police les a scellés après les avoir fouillés pour s’assurer qu’ils ne contiennent ni armes, ni drogues, ni cadavres. Les acheteurs éventuels en revanche ne peuvent connaître leur contenu. L’objet leur est montré et son poids est annoncé. Mais aussitôt acquis, le bagage est ouvert, vidé et son contenu exhibé devant un public hilare. C’est la pochette-surprise. C’est aussi la plongée dans une vie privée, la découverte d’un destin reconstitué à travers x objets plus ou moins intimes, révélateurs, promiscus.
Sculpture-architecture. Étroitement liées. Il est possible de définir chaque type d’architecture par sa relation avec un type de sculpture ou par son exclusion de toute sculpture. Si l’on prend comme exemple l’ensemble formé au bord de la Seine par le palais de Chaillot et la tour Eiffel, il est clair que la Tour exclut absolument toute sculpture, alors que Chaillot par son néoclassicisme appelle impérativement un ensemble de statues. De même l’arc de triomphe de l’Étoile ne pourrait se passer des quatre
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