Journal Extime
leur confort, pour leur malheur ne connaissent pas cette sujétion, cette sublimation. Le ciel ne les concerne pas.
Orage nocturne. Temps étouffant. Le matin les meubles blancs de mon jardin sont souillés par une boue rougeâtre. D’après la météo, nous subissons un sirocco qui nous apporte la poussière du Sahara. Les fleurs du marronnier jonchent le sol, comme un tapis de Fête-Dieu.
Devant un journaliste, je développe la théorie des quatre santés : du corps, de la maison, du jardin, de l’argent, constituant autant de cercles concentriques autour du centre âme. Ce n’est pas bien subtil, mais c’est un schéma de réflexion et de bilan assez commode.
Visite à l’école maternelle de Saint-Rémy. Je suis confronté à une trentaine de mouflets et de mouflettes de quatre à cinq ans. Je leur parle des animaux. Qui a un chien ? Qui a un chat ? Les mains se lèvent. Quelle différence y a-t-il entre un chat et un chien ? Les réponses dénotent la peur inspirée par le chien : « Le chat est gentil, le chien est méchant. » Mais viennent ensuite des réponses qui relèvent de l’observation : le chat a des griffes, le chien aime le sucre (pas le chat), le chat ronronne, etc. À la grande admiration de la maîtresse, je parviens à les faire tenir assis près d’une demi-heure, véritable record, me dit-elle.
Je me mêle aux quelques dix mille pèlerins qui arrivent à pied de Paris et suivront la messe après-demain à Notre-Dame-de-Chartres. Ils ont quarante kilomètres dans les jambes et certains se traînent. Ils passeront la nuit dans un immense camp établi à deux pas de chez moi. On remarque beaucoup d’êtres charmants, de nombreux visages purs et naïfs, mais aussi dans les plis des bannières combien de faces obtuses et patibulaires ! Cette foule, sans doute parce qu’elle est réunie par une foi commune, paraît sensiblement plus typée, stéréotypée qu’une foule assemblée par le hasard. Abondance de personnages pittoresques, caricaturaux ou d’une impressionnante beauté.
Françoise Giroud écrit dans le N.O. : « Dans une belle émission consacrée tout entière à Michel Tournier, ambigu, pervers, gai, brillant, Michel Polac demandait, jouant le Huron : “Ça sert à quoi la philosophie ? – À rien, dit Tournier. C’est comme la musique. On s’y intéresse ou pas.” »
Je bute sur ces quatre épithètes dont elle me gratifie. C’est donc ainsi que j’apparais, ambigu, pervers, gai et brillant. Tout sauf rassurant et franc du collier. Il est vrai que l’émission est jugée « belle ». Or c’était mon émission. Preuve que je sais faire une belle émission, mais que je ne sais pas donner de moi l’image que j’aimerais donner.
Je dois avoir les conduits lacrymaux bouchés, car je ne cesse de larmoyer. Le curieux, c’est que cela me rend sentimental, rührseelig. L’expression d’un sentiment comme cause de ce sentiment. Je crois que Descartes a parlé de cela dans son Traité des passions à propos d’un veuf bien content d’être débarrassé de sa femme, mais bouleversé par ses funérailles.
On a tort de vouloir enfermer Balzac dans la fiction et lui interdire les réflexions et les théories notamment sur la société de la Restauration. Dans Un prince de la bohème, il explique que la bohème est un phénomène lié à la Restauration. En effet la jeunesse d’élite (vingt-trente ans) trouvait sa place dans la société de l’Ancien Régime et de l’Empire. Mais la Restauration étant un régime de gérontocratie, ces jeunes se trouvent exclus du système et réduits à l’oisiveté et à la misère. Et il émet cette idée : « Si l’empereur de Russie achetait la bohème moyennant une vingtaine de millions, en admettant qu’elle voulût quitter l’asphalte des boulevards, et qu’il la déportât à Odessa, dans un an Odessa serait Paris… »
La confession. Visite à l’église Saint-Sulpice. Il n’y a plus de confessionnaux. Dans une cage de verre fumé insonorisée un prêtre en ornements est assis à une table face à la pénitente. Une lampe braquée sur elle rappelle péniblement les interrogatoires de police style cinéma. LA pénitente. Je serais curieux de savoir combien d’hommes se confessent.
J’avais vu tout autre chose à Palerme. Assis dans un vaste fauteuil, le prêtre en grand apparat était violemment éclairé par un lustre placé au-dessus de sa tête. À droite et
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