Journal Extime
trésor, mais un nombre impressionnant de douilles de cartouches de guerre. A-t-on tiraillé dans ce jardin soit en 1940, soit en 1945 entre Français et Allemands ? Les rares témoins que j’ai pu interroger ne m’ont pas donné de réponse.
Le visage, partie émergée de l’iceberg : parle et ment. La masse énorme du corps, cachée dans les vêtements avec tous ses organes, partie immergée de l’iceberg. Elle ne ment pas, mais c’est parce qu’elle ne parle pas.
Je n’en aurai jamais fini avec les miroirs. En voici un de plus que je porte avec moi depuis des années sans pouvoir achever son histoire.
Il faut d’abord rappeler que les miroirs sont venus très tard dans nos vies. Les miroirs de verre datent du XV e siècle et furent inventés à Venise. Et ils coûtaient une fortune, de telle sorte que la plupart des gens n’en avaient jamais vu.
C’était le cas d’un couple de paysans qui reçurent un jour la visite d’un riche voyageur. Ils le logèrent dans la meilleure chambre de la maison. Quand il fut parti le lendemain matin, le mari s’aperçut qu’il y avait laissé un petit sac. Un peu honteux de sa curiosité, il l’ouvrit et en sortit un miroir justement. Il le regarda. Il fut bouleversé par ce qu’il y vit : le visage vivant de son propre père, mort depuis dix ans, et ce visage le regardait et on voyait nettement des larmes s’accumuler au bord de ses paupières. C’est qu’il était mort de chagrin, méchamment brouillé avec son fils, un épisode familial douloureux. Notre homme cacha l’objet dans un tiroir et se hâta de sortir.
Sa femme vit bien qu’il était bouleversé. « Qu’est-ce que tu as ? », lui demanda-t-elle. Il se contenta de hausser les épaules et il partit à son travail.
La femme demeura songeuse et soucieuse. Plus tard elle entra dans la chambre et entreprit des recherches pour éclaircir le mystère. Elle finit par ouvrir le tiroir et en tira le miroir. Elle le regarda. Un froid désespoir l’envahit : « C’est bien ce que je craignais, dit-elle. Il me trompe. Et en plus elle est vieille et laide ! »
Ce couple avait deux enfants, un petit garçon et une adolescente. L’un et l’autre vont à tour de rôle découvrir le miroir. Qu’y voient-ils chacun de leur côté ? Ne me le demandez pas, je n’en sais encore rien. Mais je le saurai un jour, j’en suis sûr !
Une institutrice m’envoie la fiche scolaire d’un de ses élèves qui a écrit à la rubrique Avenir : « Je veux être écrivain et faire partie de l’Académie Goncourt ». J’emporte la fiche chez Drouant et nous lui envoyons, écrit sur un menu, « Dépêche-toi d’écrire une œuvre, nous t’attendons place Gaillon », avec la signature des dix membres de l’Académie Goncourt.
Deux bûcherons entreprennent l’éradication de deux poiriers centenaires. Ils creusent autour du tronc et affaiblissent l’arbre en coupant ses grosses racines – comme le picador affaiblit le taureau avec sa pique. Puis ils l’unissent avec un câble d’acier à un arbre voisin intact. Le câble passe par un tirefort qui se raccourcit grâce à un levier avec une force qui peut atteindre six tonnes. Si le câble casse, il fauche comme une lanière de fouet et peut couper une jambe. Les souches extraites et nettoyées forment deux sculptures abstraites tourmentées, griffues et grimaçantes comme des pieuvres de bois.
A.F. me raconte qu’une de ses amies ayant émigré aux USA s’y était mariée. De son mari, elle lui avait écrit simplement qu’il ressemblait à saint Sébastien. Des années plus tard, elle se rend elle-même aux USA et assiste à une « party » donnée par son amie. Elle met un certain temps à la retrouver. « Viens, je vais te présenter mon mari », lui dit-elle. – Inutile, je l’ai trouvé avant toi et je me suis présentée à lui. – Mais comment as-tu fait pour le reconnaître ? – Tu m’avais dit qu’il ressemblait à saint Sébastien, je l’ai immédiatement repéré dans la foule. »
Déjeuner à la clinique psychosomatique de la Poterne-des-Peupliers (Ipso) avec les docteurs P.M. et K. Ils me parlent des « bébés ruminants ». Ils ont entre six et douze mois. Ils régurgitent leur lait et le remâchent avant de l’ingurgiter à nouveau, puis ils recommencent, de telle sorte qu’ils ne digèrent pas et souffrent de dénutrition. Les médecins interprètent ce ruminement comme une sorte
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