Kenilworth
en neveu soumis, obéit à son oncle en buvant une seconde rasade, et dit qu’il ne se trouvait jamais l’esprit si ouvert qu’après s’être bien rincé le gosier dans la matinée ; après quoi il partit avec Tressilian pour se rendre chez Tony Foster.
Le village de Cumnor est agréablement situé sur une colline ; dans un parc bien boisé qui en était voisin se trouvait l’ancien édifice qu’habitait alors Tony Foster, et dont les ruines existent peut-être encore. Ce parc était, à cette époque, rempli de grands arbres, et surtout de vieux chênes dont les rameaux gigantesques s’étendaient au-dessus des hautes murailles qui entouraient cette habitation, ce qui lui donnait un air sombre, retiré et monastique. On y entrait par une porte à deux battans, de forme antique, en bois de chêne très épais, et garnie de clous à grosses têtes, comme la porte d’une ville.
– Il ne sera pas très facile de prendre la place d’assaut, dit Lambourne en examinant la force de la porte, si l’humeur soupçonneuse du coquin refuse de nous l’ouvrir, comme cela est très possible si la sotte visite de notre mercier sans cervelle lui a donné de l’inquiétude. Mais non, ajouta-t-il en poussant la porte, qui céda au premier effort, elle nous invite à entrer, et nous voilà sur le terrain défendu, sans autres obstacles à vaincre, que la résistance passive d’une lourde porte de bois de chêne, qui tourne sur des gonds rouillés.
Ils étaient alors dans une avenue ombragée par de grands arbres, semblables à ceux dont nous venons de parler, et qui avait été autrefois bordée des deux côtés par une haie d’ifs et de houx. Mais ces arbustes, n’ayant pas été taillés depuis nombre d’années, avaient formé de grands buissons d’arbres nains dont les rameaux noirs et mélancoliques usurpaient alors le terrain de l’avenue qu’ils avaient jadis protégée comme un rideau. L’herbe y croissait partout, et dans deux ou trois endroits on y trouvait des amas de menu bois coupé dans le parc, et qu’on y avait placé pour le laisser sécher. Cette avenue était traversée par d’autres allées également obstruées par des broussailles, des ronces et de mauvaises herbes. Outre le sentiment pénible qu’on éprouve toujours quand on voit les nobles ouvrages de l’homme se détruire par suite de la négligence, et les marques de la vie sociale s’effacer graduellement par l’influence d’une végétation que l’art ne dirige plus, la taille immense des arbres et leurs branches touffues répandaient un air sombre sur cette scène, même quand le soleil était à son plus haut point, et produisaient une impression proportionnée sur l’esprit de ceux qui la voyaient. Michel Lambourne lui-même n’en fut pas exempt, quoiqu’il ne fût pas dans l’habitude de se laisser émouvoir par autre chose que ce qui s’adressait directement à ses passions.
– Ce bois est noir comme la gueule d’un loup, dit-il à Tressilian en s’avançant dans cette avenue solitaire, d’où l’on apercevait la façade de l’édifice monastique, avec ses fenêtres cintrées, ses murailles de briques, couvertes de lierre et d’autres plantes grimpantes, et ses hautes cheminées de pierre. – Et cependant, continua-t-il, je ne puis trop blâmer Foster ; car puisqu’il ne veut voir personne, il a raison de tenir son habitation en tel état qu’elle ne puisse inspirer l’envie d’y entrer à qui que ce soit. Mais, s’il était encore ce que je l’ai connu autrefois, il y a longtemps que ces grands chênes auraient garni les chantiers de quelque honnête marchand de bois ; les matériaux de cette maison auraient servi à en bâtir d’autres, tandis que Foster en aurait étalé le prix sur un vieux tapis vert, dans quelque recoin obscur des environs de White-Friars {18} .
– Était-il donc alors si dissipateur ? demanda Tressilian.
– Il n’était que ce que nous étions tous, ni saint ni économe. Mais ce qui me déplaisait le plus en lui, c’était qu’il n’aimait point à partager ses plaisirs. Il regrettait, comme on dit, chaque goutte d’eau qui ne passait point par son moulin. Il avalait solitairement des mesures de vin que je ne me serais pas engagé à boire avec l’aide du meilleur biberon du comté de Berks. Cette circonstance, jointe à un certain penchant qu’il avait naturellement pour la superstition, le rendait indigne de la société d’un bon compagnon. Aussi
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