Kenilworth
voyez-vous qu’il s’est enterré ici dans une tanière qui est précisément ce qu’il faut à un renard si sournois.
– Mais puisque l’humeur de votre ancien compagnon est si peu d’accord avec la vôtre, M. Lambourne, pourrais-je vous demander pourquoi vous semblez désirer de renouer connaissance avec lui ?
– Et puis-je vous demander en retour, M. Tressilian, quel motif vous a fait désirer de m’accompagner dans cette visite ?
– Je vous l’ai dit, lorsque j’ai pris part à la gageure, la curiosité…
– Vraiment ! et voilà comment vous autres gens civils et discrets vous nous traitez, nous qui vivons des ressources de notre génie. Si j’avais répondu à votre question en vous disant que je n’avais d’autres raisons que la curiosité pour aller voir mon ancien camarade Tony Foster, je suis sûr que vous auriez regardé ma réponse comme évasive, comme un tour de mon métier. Mais je suppose qu’il faut que je me contente de la vôtre.
– Et pourquoi la simple curiosité n’aurait-elle pas suffi pour me décider à faire cette promenade avec vous ?
– Satisfaites-vous, monsieur, satisfaites-vous ; mais ne croyez pas me donner le change si facilement. J’ai vécu trop long-temps avec les habiles du siècle pour qu’on me fasse avaler du son en place de farine. Vous avez de la naissance et de l’éducation, votre tournure le prouve ; vous avez l’habitude de la politesse, et vous jouissez d’une réputation honorable, vos manières l’attestent, et mon oncle en est garant. Cependant vous vous associez à une espèce de vaurien, comme on m’appelle ; et, me connaissant pour tel, vous devenez mon compagnon pour aller voir un autre garnement que vous ne connaissez pas ; et tout cela par curiosité. Allons donc ! si ce motif était pesé dans une bonne balance, on trouverait qu’il s’en faut de quelque chose qu’il n’ait le poids convenable.
– Si vos soupçons étaient justes, répondit Tressilian, vous ne m’avez pas montré assez de confiance pour attirer la mienne, ou pour la mériter.
– S’il ne s’agit que de cela, mes motifs sont à fleur d’eau. Tant que cet or durera, dit-il en tirant sa bourse de sa poche, la jetant en l’air, et la retenant avec la main dans sa chute, le plaisir ne me manquera pas ; mais quand il sera parti, il m’en faudra d’autre. Or si la dame mystérieuse de ce manoir, cette belle invisible de Tony Allume-Fagots, est un morceau aussi friand qu’on le dit, il n’est pas impossible qu’elle m’aide à changer mes nobles d’or en sous de cuivre ; et si Tony est un drôle aussi riche qu’on le prétend, le hasard peut faire aussi qu’il devienne pour moi la pierre philosophale, et qu’il change mes sous de cuivre en nobles d’or.
– Le double projet est bien imaginé, dit Tressilian ; mais je ne vois pas où est le moyen de l’accomplir.
– Ce ne sera pas aujourd’hui, peut-être pas même demain. Je ne m’attends pas à prendre le vieux routier dans mes pièges avant d’avoir préparé convenablement quelque appât. Mais je connais ses affaires ce matin un peu mieux que je ne les connaissais hier soir, et je ferai usage de ce que je sais, de manière à lui faire croire que j’en sais encore davantage. Si je n’avais espéré plaisir ou profit, peut-être l’un et l’autre, je vous réponds que je n’aurais pas fait un pas pour venir ici, car je ne regarde pas cette visite comme tout-à-fait sans risque. Mais nous y sommes, et il faut aller jusqu’au bout.
Tandis qu’il parlait ainsi, ils étaient entrés dans un grand verger qui entourait la maison de deux côtés, mais dont les arbres négligés étaient couverts de mousse, chargés de branches parasites, et paraissaient porter peu de fruits. Ceux qui avaient été plantés en espalier avaient repris leur croissance naturelle, et offraient des formes grotesques qui tenaient en même temps de celle que l’art leur avait donnée et de celle qu’ils avaient reçue de la nature. La plus grande partie de ce terrain, jadis cultivée en parterre et ornée de fleurs, était en friche, excepté quelques petites portions où l’on avait planté des légumes. Quelques statues, qui avaient paré le jardin dans ses jours de splendeur, étaient renversées près de leurs piédestaux et brisées. Enfin une grande serre chaude, dont la façade en pierre était ornée de bas-reliefs représentant la vie et les exploits de Samson, était dans le
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