Kenilworth
poursuivit Varney de chambre en chambre, le persécutant de questions, auxquelles l’autre ne répondit que lorsqu’ils furent arrivés dans la vieille bibliothèque avec laquelle le lecteur a déjà fait connaissance. Là Varney se tourna vers le vieux puritain, et répondit enfin avec une certaine assurance, quelques instans ayant suffi à un homme aussi habitué que lui à commander à ses émotions, pour se reconnaître et recouvrer sa présence d’esprit.
– Tony, dit-il avec son ironie habituelle, je ne puis le nier, la femme et le diable, qui, comme ton oracle Holdforth pourra te le confirmer, trompèrent l’homme au commencement du monde, ont triomphé aujourd’hui de ma discrétion. Cette petite furie avait l’air si tentant, elle a eu l’art de se contenir si naturellement pendant que je lui communiquais le message de Monseigneur, que, sur ma foi, je m’imaginai que je pouvais glisser quelques mots pour moi. Elle croit avoir ma tête sous sa ceinture, mais elle se trompe. Où est le docteur ?
– Dans son laboratoire, dit Foster ; c’est l’heure où on ne peut lui parler. Il faut attendre que midi soit passé, si nous ne voulons détruire ses études importantes ; que dis-je, importantes ! ses divines études.
– Oui, il étudie la théologie du diable, dit Varney. Mais, quand je veux lui parler, toutes les heures sont bonnes. Conduis-moi à son Pandœmonium {101} .
Ainsi parla Varney, et d’un pas accéléré, d’un air embarrassé, il suivit Foster, qui le conduisit à travers des corridors dont plusieurs étaient près de tomber en ruines, jusqu’à l’appartement souterrain alors occupé par le chimiste Alasco ; c’était là qu’autrefois un des abbés d’Abingdon, passionné pour les sciences occultes, avait, au grand scandale de son couvent, établi un laboratoire dans lequel, comme beaucoup d’autres insensés de ce siècle, il avait perdu un temps précieux et dépensé en outre une grosse somme à la recherche du grand secret.
Tony Foster s’arrêta devant la porte, soigneusement fermée en dedans, et manifesta de nouveau une hésitation marquée. Mais Varney, moins scrupuleux, à force de cris et de coups répétés, arracha-le sage à ses travaux. Alasco ouvrit la porte de la chambre lentement et avec répugnance ; ses yeux étaient enflammés et obscurcis par la chaleur et les vapeurs de l’alambic sur lequel il méditait ; l’intérieur de son laboratoire offrait à la vue le confus assemblage de substances hétérogènes et d’ustensiles extraordinaires. Le vieillard murmura avec impatience :
– Serai-je donc toujours rappelé des affaires du ciel à celles de la terre ?
– À celles de l’enfer ! dit Varney, car c’est là ton élément. Foster, nous avons besoin de toi à notre conférence.
Foster entra lentement dans la chambre ; Varney, qui le suivait, ferma la porte, et ils se mirent à délibérer secrètement.
Pendant ce temps, la comtesse se promenait dans son appartement ; la honte et la crainte étaient peintes sur son beau visage.
– Le scélérat, disait-elle, le traître, le lâche intrigant ! Mais je l’ai démasqué, Jeannette, j’ai attendu que le serpent déroulât devant moi tous ses replis, et parût rampant dans toute sa difformité. J’ai suspendu mon ressentiment au risque d’étouffer de contrainte, jusqu’à ce qu’il m’eût découvert le fond d’un cœur plus noir que l’abîme le plus ténébreux de l’enfer. Et toi, Leicester, as-tu pu m’ordonner de nier un seul instant les droits légitimes que j’ai sur toi, ou les céder toi-même à un autre ? Mais c’est impossible. Le scélérat a menti en tout. Jeannette, je ne veux pas rester ici plus long-temps. Je crains Varney, je crains ton père. Oui, Jeannette, je le dis à regret, je crains ton père, mais par-dessus tout cet odieux Varney. Je veux fuir de Cumnor.
– Hélas ! madame, où pourriez-vous fuir ? et par quels moyens vous échapperez-vous de ces murs ?
– Je ne sais, Jeannette, dit l’infortunée Amy en tournant les yeux vers le ciel et en joignant les mains ; je ne sais où je fuirai, ni par quels moyens je pourrai fuir ; mais je suis, certaine que le Dieu que j’ai servi ne m’abandonnera pas dans une crise si terrible, car je suis entre les mains des méchans.
– N’ayez pas cette pensée, milady, dit Jeannette : mon père est d’un caractère sévère ; il exécute rigidement les ordres qu’on lui a donnés,
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