Kenilworth
se prépare, ma chère ; quelque malheur approche. Dieu nous pardonne nos péchés ; mais l’arrivée subite de Varney ne présage rien de bon.
C’était la première fois que Jeannette entendait son père l’exciter à faire attention à ce qui se passait dans ce séjour du mystère. Sa voix retentissait à son oreille comme celle du funeste hibou qui prédit la terreur et le deuil. Elle tourna les yeux vers la porte avec crainte, comme si elle se lût attendue à des sons d’horreur, ou à quelque spectacle d’effroi.
Cependant tout était parfaitement tranquille, et ceux qui s’entretenaient dans la chambre le faisaient d’une voix si basse qu’on ne pouvait distinguer leurs paroles. Tout d’un coup on les entendit parler à mots précipités, et bientôt après la comtesse, avec l’accent de la plus violente indignation, s’écria : – Ouvrez la porte, monsieur ; je vous l’ordonne ! ouvrez la porte ! point de réplique ! continua-t-elle, couvrant par ses cris la voix étouffée de Varney, qu’on pouvait distinguer de temps en temps. Sortez, sortez, vous dis-je. Jeannette, appelle au secours ! Foster, brisez la porte ! Je suis retenue ici par un traître. Employez hache et levier, M. Foster, je serai votre caution !
– Cela n’est pas nécessaire, madame, dit à la fin Varney de manière à être entendu. Si vous voulez exposer les importans secrets de milord et les vôtres devant tout le monde, je ne prétends point vous en empêcher.
Les verrous furent tirés ; la porte s’ouvrit, et Jeannette et son père se précipitèrent avec inquiétude dans l’appartement, pour apprendre la cause de ces exclamations réitérées.
Quand ils entrèrent, Varney était debout près de la porte, grinçant des dents avec une expression dans laquelle étaient peints des sentimens opposés de rage, de honte et de crainte. La comtesse était au milieu de son appartement, comme une jeune pythonisse sous l’influence de la fureur prophétique.
Les veines bleues de son beau front s’étaient gonflées ; ses joues et sa gorge étaient rouges comme l’écarlate ; ses yeux étaient ceux d’un aigle emprisonné, qui lancent des éclairs sur les ennemis qu’il ne peut atteindre de ses serres. S’il était possible à une des Grâces d’être excitée par une Furie, sa figure ne pourrait réunir plus d’attraits, avec autant de haine, de mépris, de fierté et de colère. Les gestes d’Amy et son attitude répondaient à sa voix et à son regard ; son aspect imposant n’était pas sans beauté, tant l’énergie de l’indignation avait ajouté de traits sublimes aux charmes naturels de la comtesse. Jeannette, aussitôt que la porte s’ouvrit, courut à sa maîtresse, et Foster, avec plus de lenteur que sa fille, mais cependant plus vite que de coutume, s’approcha de Richard Varney.
– Au nom de la vérité, qu’est-il arrivé à Votre Seigneurie ? demanda Jeannette.
– Au nom de Satan, que lui avez-vous fait ? dit Foster à son ami.
– Qui, moi ? rien, répondit Varney la tête baissée et de mauvaise humeur ; j’ai dû lui communiquer les ordres de son époux ; et si milady ne veut pas s’y conformer, elle sait ce qu’il faut répondre mieux, que je ne puis le faire.
– Jeannette, j’en atteste le ciel, dit la comtesse, le traître en a menti par la gorge ; il ne peut que mentir, puisque ce qu’il dit outrage l’honneur de mon noble époux ; il ment doublement, puisqu’il ne parle que pour favoriser un dessein également exécrable et impraticable.
– Vous m’avez mal compris, milady, dit Varney avec une espèce de soumission ; laissons cet entretien jusqu’à ce que votre colère soit passée. Alors je vous satisferai sur tous les points.
– Tu n’en auras jamais l’occasion, dit-elle à Varney. Regarde-le, Jeannette, il est bien habillé, il a l’extérieur d’un gentilhomme, et il est venu ici pour me persuader que c’était le plaisir de mon seigneur, l’ordre de mon époux légitime, que je partisse avec lui pour Kenilworth, et que là, devant la reine et les nobles, en présence de mon époux, je le reconnusse lui, lui qui est là, cet homme qui brosse les habits, qui nettoie les bottes, qui est le laquais de milord ! que je le reconnusse pour mon maître, pour mon mari ! Grand Dieu ! je fournirais donc contre moi-même des armes quand je voudrais réclamer mes droits et mon rang ! Je renoncerais à ma réputation d’honnête
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