Kenilworth
femme ! Je détruirais mon titre à prendre place parmi les respectables dames de la noblesse anglaise !
– Vous l’entendez, Foster ; et vous, jeune fille, entendez-la, dit Varney, profitant d’un moment de silence dont la cause était le besoin qu’avait la comtesse de respirer, plutôt qu’une diminution de sa colère ; vous en êtes témoins, elle ne me reproche que le plan de conduite que notre bon maître suggère dans la lettre qu’elle tient à présent dans ses mains, vu la nécessité où il est de garder certain secret.
Foster essaya ici d’intervenir avec un air d’autorité qu’il croyait convenir au poste qu’on lui avait confié.
– Oui, milady, je dois avouer que vous êtes trop prompte dans cette circonstance. Une pareille fraude n’est pas entièrement condamnable, lorsqu’en la commettant on n’a qu’un but pieux. Ce fut ainsi que le patriarche Abraham feignit que Sara était sa sœur, lorsqu’ils allèrent en Égypte.
– Oui, monsieur, dit la comtesse ; mais Dieu réprouva cette imposture, même dans le père de son peuple, par la bouche du païen Pharaon. Honte à vous qui ne lisez les Écritures que pour faire une fausse application des choses qui y sont contenues comme des exemples non à suivre, mais à éviter.
– Mais Sara ne s’opposa point à la volonté de son époux, sous votre bon plaisir, dit Foster ; elle fit ce qu’Abraham ordonnait en prenant le nom de sa sœur pour l’intérêt de son époux, et afin que la beauté de son corps ne fût pas une cause de perdition pour son âme.
– Maintenant, que le ciel me pardonne mon inutile courroux, répondit la comtesse ; tu es un hypocrite aussi hardi que cet autre là-bas est un fourbe impudent. Jamais je ne pourrai croire que le noble Dudley ait donné son approbation à un dessein si déshonorant. C’est ainsi que je foule aux pieds son infamie :… s’il en est véritablement coupable, j’en détruis à jamais le souvenir.
En parlant ainsi elle déchira la lettre de Leicester, et la foula aux pieds dans l’excès de son impatience, comme si elle eût voulu en anéantir jusqu’aux moindres fragmens.
– Soyez témoins, dit Varney en reprenant son assurance, soyez témoins qu’elle a déchiré la lettre de milord, afin de rejeter sur moi le projet qu’il a lui-même imaginé. Elle voudrait que je fusse le seul coupable, quand je n’ai aucun intérêt personnel dans tout ceci.
– Tu mens, détestable fourbe ! dit la comtesse malgré tous les efforts que faisait Jeannette pour lui faire garder le silence, prévoyant tristement que sa violence ne servirait qu’à fournir des armes contre elle-même. Tu mens, continua-t-elle. Laisse-moi, Jeannette. – Quand ce serait ma dernière parole, il ment. Il a voulu en venir à son but infâme, et il l’eût fait plus ouvertement encore si ma colère m’eût permis de garder le silence qui l’avait d’abord encouragé à découvrir ses vils projets.
– Madame, dit Varney, confondu en dépit de son effronterie, je vous supplie de croire que vous êtes dans l’erreur.
– Je croirai plutôt que le jour est la nuit ! Ai-je donc oublié ? Ne me rappelé-je pas des trahisons qui, connues de Leicester, t’eussent valu l’infamie du gibet au lieu de l’honneur de son intimité ? Que ne suis-je un homme seulement cinq minutes ! ce temps suffirait pour arracher d’un lâche comme toi l’aveu de sa scélératesse. Mais va-t’en ! sors d’ici ! et dis à ton maître que lorsque je suivrai le chemin honteux dans lequel me conduirait nécessairement l’imposture que tu me conseilles en son nom, je lui donnerai un rival un peu plus digne de ce titre. Il ne sera pas supplanté par un ignominieux laquais, dont le plus grand bonheur est d’attraper les habits de son maître avant qu’ils soient entièrement usés, et qui n’est bon qu’à séduire quelque fille de faubourg par l’élégance d’une nouvelle rosette ajoutée aux vieux souliers de son maître. Va, te dis-je, sors d’ici ; je te méprise tant que je suis honteuse de ma colère contre toi.
Varney quitta la chambre avec une expression de rage muette. Il fut suivi par Foster, dont l’esprit naturellement lourd fut pour ainsi dire accablé par ce torrent d’indignation impétueuse, sorti des lèvres d’une jeune personne qui avait jusqu’alors paru assez douce, et trop indolente pour nourrir une pensée de colère ou se livrer à un transport d’indignation.
Foster
Weitere Kostenlose Bücher